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Adela Maria Bohomolec (Traducteur)
EAN : 9782825101803
277 pages
L'Age d'Homme (02/05/1991)
4.86/5   7 notes
Résumé :
Adapté du polonais par M.-A. Bohomolec et l'auteur,
préface de Daniel Halévy

Tous ceux qui ont pris connaissance de Terre inhumaine le savent: il s’agit d’un témoignage capital. Joseph Czapski est un des officiers rescapés de Katyn. Il connaîtra le Goulag, la Sibérie, puis brutalement sera précipité dans la guerre: la Lybie, Monte Cassino et la lente traversée de l’Europe occupée par les Nazis. Une odyssée exceptionnelle, racontée par un homme,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Mes rencontres avec les livres sont souvent étrange. En cherchant sur Babelio un auteur je suis tombée sur un livre qui raconte la vie de JÓZEF Czapski, un total inconnu pour moi, pourtant un des plus grands peintres polonais sinon le plus grand du XX ieme siècle et auteur de ce témoignage extrêmement précieux de première main qui relate l'horreur du Stalinisme qui n'avait rien à envier au Nazisme. Un témoignage important vu que la Russie changeant de camp a caché ses propres atrocités non moindre de celles de l'Allemagne derrière celles de ce dernier durant la dernière guerre mondiale.
Les russes alliée de l'Allemagne en 1939, au début de la guerre, ayant envahi une partie de la Pologne déportèrent 1,5 millions de polonais, juif ou non dans divers camps de concentration en Russie. Par la suite Hitler ayant trahi Stalin, changeant de camp , s'alliant avec les Alliés avec le traité Sikorski-Maisky , ils en relâchèrent un certain nombre afin de créer une armée polonaise en Russie et l'envoyer en Italie se battre contre leur ex-allié , leur nouveau ennemi. L'auteur lui-même un des prisonniers libérés pour rejoindre cette mission, est responsable de la commission chargée de retrouver tous les déportés polonais disparus sur le territoire russe. Il raconte une partie de ce voyage des camps aux points de rassemblement et de là en Ouzbékistan , Turkestan, Iran, Irak….durant une année 1941-1942, et la quête désespérée des disparus qui révélera les impensables horreurs et crimes commis par le régime de Staline.Déjà les prisonniers libérés étaient dans un état déplorable, la majorité étant malades ou affaiblis par les rudes conditions de la déportation, mais le plus grand nombre de ces polonais déportés et fait prisonniers avaient disparus. Il se révélera peu à peu qu'au moins 15000 personnes ( dont 8000 officiers) avaient été abattus en masse, dont le fameux massacre de Katyn qui ne fut révélé au grand public que plus tard, d'autres moururent de froid et de faim, et des milliers encore furent noyés dans La Mer Blanche ou dans l'Ocean Arctique. Ils en déportèrent même à Franz Josef Land, une archipel dans la mer de Barens recouverte de glace , inhabité. de ceux qui furent relâchés, un bon nombre ne résista pas à des marches d'une centaine de km à pieds sans eau ni nourritures, et n'ayant plus la force de continuer, ils furent abattus comme des bêtes.
Outre les conditions de vie des russes elles-mêmes étaient terribles. L'attitude soviétique qui n'accordait aucune valeur à l'existence humaine, les avait rendus à leur tour inhumains Pas d'argent, pas de nourriture , un peuple qui dans le désarroi total avait perdu toute son humanité , d'où le nom de ce livre « Terre inhumaine ». Quand on pense de quelle idéologie elle est partie, et combien d'intellectuels européens y ont adhéré, cela me laisse sans voix. Surtout que le terreau des dictatures dont le communisme soviétique est et a été la désinformation et l'ignorance du peuple. La liste de leurs atrocités est sans fin, uniquement à Kuybyshev ils employèrent 500000 à 700000 déportés pour la construction d'usines militaires, les faisant travailler à mort sans nourriture.
Le communisme soviétique fut probablement le plus grand mensonge et arnaque du XXieme siècle. Ce qui en a suivi n'en est pas meilleur, vu l'Etat du pays et de son gouverneur actuel. Partout terreur, personne n'ose proférer une critique contre le dictateur, c'était l'époque de Staline, de même aujourd'hui c'est l'époque de Poutine. Même plus besoin de camps de concentration, empoisonnement et victime de meurtre, ça coûte moins chère et ça va plus vite. Un pays qui ne trouvera probablement jamais ni la démocratie , ni la paix , ni l'humanisme, vu son long passé criminel. Que de peines, énergies, ressources dépensées uniquement pour torturer, tuer, exterminer, et à quel fin ??? Vu où ils en sont.
Un livre clé passionnant absolument à lire pour mieux comprendre le présent, s'il reste encore quelque chose à y comprendre. Poutine digne successeur de Staline, la nation russe, des grand traîtres, que l'épilogue du livre révèle en détails. L'occasion aussi de croiser des personnalités uniques qui vécurent plusieurs vies, du pire au meilleur, d'une résistance et d'une volonté inépuisables, comme l'auteur, Ehrlich et Alter chefs du Bund, parti juif polonais et tant d'autres sacrifiés à des fins infâmes.

« Nichevo, vsyo proglotyat—Peu importe, ils avaleront n'importe quoi. »
Staline


“One must love life more than its meaning.”…..”I admired these people who still wanted to live after all they had been through.”
« Il faut aimer la vie plus que son sens. » …..”J'admirais ces gens qui voulaient encore vivre après tout ce qu'ils avaient traversé”
Dostoievski / Czapski


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“Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir ! ˮ. L'auteur aurait pu mettre la célèbre formule de Dante en exergue. Il s'agit du récit des “aventuresˮ de l'auteur de 41 à la fin de la guerre, de ses années de camps soviétiques, la campagne d'Italie. Ayant échappé aux exécutions du NKVD, contrairement aux milliers d'officiers polonais, à Katyn, notamment, suite aux accords Sikorski-Staline, il participe, sous la direction du général Anders à la constitution d'une armée polonaise au fin fond de l'Asie centrale. Des milliers de détenus polonais extraits des centaines de camps du Goulag sont rassemblés, ceux qui survivent au transfert, pour former ce corps expéditionnaire qui combattra, notamment au Monte Cassino. On y côtoie la misère “normaleˮ du peuple soviétique dans ses kolkhozes, usines, villages moyenâgeux. Misère enviable en comparaison de la situation des anciens zeks, des familles déportées. Combien de nationalités ? En plus des Polonais, Baltes (eux aussi déportés par dizaines de milliers), Ukrainiens… Un parcours dans l'enfer, terrestre celui-ci.
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Le témoignage de Joseph Czapski, d'abord publié en 1947 et augmenté par la suite, est une pépite que l'on saisit avec émotion et admiration. Il raconte, en faisant des allers-retours entre diverses époques de sa vie, l'histoire à peine croyable de l'Armée polonaise d'Anders, rescapée des camps soviétiques et formée à grand-peine en URSS, puis en Iran avant de se lancer en 1944 à l'assaut du Mont Cassin en Italie. Artiste dans l'entre-deux-guerres, homme de grande culture ayant vécu la Première guerre et les balbutiements de l'URSS, il porte un regard d'une profondeur exceptionnelle, à la fois personnel et large, sur la guerre, le traitement réservé à la Pologne et aux Polonais par les Soviétiques et les Allemands, et nous gratifie de multiples portraits aussi émouvants les uns que les autres de gens qu'il aura croisés dans des circonstances abracadabrantes: hommes politiques, artistes, poètes plongés dans les remous de l'Histoire. le noeud principal de son récit est la recherche, vaine, de ses camarades de camp, officiers polonais exécutés dans la forêt de Katyn par les Soviétiques (il ne l'apprendra qu'à la fin de la guerre). Un récit qui permet de toucher du doigt le drame de la Pologne au XXe siècle et de côtoyer un homme qui aura vécu de multiples vies, sous le signe de la compassion et du désir de comprendre l'incompréhensible.
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Il s'agit d'un témoignage capital. Joseph Czapski est un des officiers rescapés du massacre de Katyn en 1940. Il connaîtra le Goulag, la Sibérie, puis brutalement sera précipité dans la guerre : la Lybie, Monte Cassino et la lente traversée de l'Europe occupée par les Nazis. Une odyssée exceptionnelle, racontée par un homme, un témoin, un esprit remarquable. Après les accords Sikorski-Mayski, il a été le représentant officiel du gouvernement polonais à la recherche des officiers polonais disparus en Union soviétique. Quel parcours et quelle humilité !
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
L'écrivain russe Ivan Gontcharov, auteur d'Oblomov, a fait un voyage au Japon en 1858, dont il a parlé dans un livre intitulé La Frégate Pallas. Il y décrit une scène dont il a été témoin en Chine : un officier britannique marchait dans la rue d'une ville chinoise, attrapant langoureusement la natte de tout Chinois qui ne lui faisait pas immédiatement place et le tirant dans le caniveau. D'abord surpris, les Chinois le regardaient avec « un sourire d'indignation étouffée ». Gontcharov, qui oppose cette description dans l'un des derniers chapitres à l'idylle de fraternité entre un Cosaque et un Coréen, termine la scène avec l'Anglais et le Chinois en écrivant : « Je me demande qui ici est censé enseigner la civilisation à qui. ”

The Russian writer Ivan Goncharov, author of Oblomov, made a journey to Japan in 1858, which he wrote about in a book called The Frigate Pallas. There he describes a scene he witnessed in China: a British officer was walking down the street of a Chinese city, languidly grabbing the pigtail of any Chinese who didn’t immediately make way for him and pulling him into the gutter. At first surprised, the Chinese would gaze after him, wearing “a smile of stifled indignation.” Goncharov, who contrasts this description in one of the later chapters with the idyll of fraternity between a Cossack and a Korean, ends the scene with the Englishman and the Chinese by writing: “I wonder who here is supposed to be teaching civilization to whom.”
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Combien de fois, en exterminant des tribus entières ou en anéantissant des nations ou des républiques entières, de Novgorod sous Ivan le Terrible aux républiques de Kalmouk, de Crimée et de Tchétchénie sous Staline, en changeant le nom des fleuves ou en changeant leur système, la Russie a-t-elle condamné son propre passé au déshonneur ou à l'oubli ? Mais quelque chose a-t-il jamais changé pour le mieux dans le tissu même de ceux qui gouvernent la Russie, sont-ils devenus meilleurs, plus sympathiques, plus humains ?
(How many times, by exterminating whole tribes or wiping out whole nations or republics, from Novgorod under Ivan the Terrible to the Kalmyk, Crimean, and Chechen Republics under Stalin, by changing the names of rivers, or by changing their system, has Russia condemned its own past to dishonor or oblivion? But has anything ever changed for the better in the very fabric of those ruling Russia, have they become better, more sympathetic, more human?)
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( Moscou, 1942 )
Je voyais à chaque pas l'expression d'une volonté brutale et logique, je voyais des milliers de visages fermés ou hostiles, et je sentais l'infinie disproportion des forces physiques de la Pologne et de cet empire qui, depuis trois ans, avait exterminé plus de Polonais qu'au cours de toute notre histoire.
Je n'arrivais pas encore à croire que les nôtres avaient été massacrés.
Je me leurrais de l'espoir qu'ils étaient dans la région de la Kolima ou sur la Terre de François-Joseph mais je ne voyais plus quelles démarches faire pour découvrir enfin le lieu de leur détention.
Dans ces rues où le vent balayait la neige grise j'étais poursuivi sans relâche par " Le Cavalier d'Airain " de Pouchkine. Je ne m'étonnais pas que , dans la première version, le poète ait pris pour héros se son poème un Polonais exilé qui, ayant maudit le cavalier d'airain, monument élevé à Pierre le Grand, se voit poursuivi par celui-ci à travers les rues vides de la capitale des tsars.
Le jour de mon départ, je rentrai à l'hôtel transi et déprimé. Pendant ma dernière flânerie à travers la ville, j'avais été accosté par un passant qui avait appelé un agent de police afin que celui-ci contrôlât mes papiers. Un groupe de gens aux regards sournois, hostiles et impatients m'avaient entouré. Ils espéraient que mes papiers ne seraient pas en ordre et qu'ils pourraient enfin faire justice d'un espion ou d'un parachutiste ennemi. A leur grand regret j'étais en règle, et fus relâché séance tenante.
Je traversais en hâte le hall de mon hôtel assombri par les vitres peintes en bleu outremer. Comme je me dirigeais vers l'ascenseur, je croisai un vieux Juif, vêtu d'un paletot au col de fourrure jaunâtre et usé. Sa figure était ridée, ses yeux fatigués sous les paupières rougies. Il me fixa attentivement. Encore sous l'impression des mauvais regards qui venaient de m'accabler, j'accélerai le pas en passant devant lui, mais voilà que tout d'un coup j'entends ces mots dits à voix basse :
- Je vous regarde, monsieur, et j'ai envie de pleurer. Votre uniforme est bien un uniforme polonais ? Alors, vous êtes un officier polonais ?
Je lui dis que oui.
- Moi aussi je viens de Pologne, poursuivit-il. Je suis du district de Pinczow, j'y avais ma maison, à la campagne. Si seulement, avant de mourir, je pouvais revoir mon pays, je mourrais sans regret.
Il me vint alors l'idée de lui donner un exemplaire de la revue " Polska ", éditée par notre ambassade à Kuybishev. Je l'invitai à monter dans ma chambre, et nous prîmes l'ascenseur. Sans faire aucune attention au liftier, le vieil homme parlait intarissablement, comme pressé par le besoin de dire ce que jusqu'alors il n'avait pu dire à personne, comme s'il avait à reconnaître quelque faute commise envers la Pologne. Il l'avait quittée en 1915, et n'y était jamais retourné ; il l'avouait, il s'en confessait. Nous longeâmes un interminable couloir, il parlait sans arrêt.
Dans ma chambre, je luis remis la revue que j'avais laissée sur la table. En première page, il y avait une photo de la place du Château de Varsovie, complètement détruite. On apercevait, à travers les décombres et les charpentes calcinées, la colonne du roi Sigismond et, dans le lointain,les tours gothiques de la Cathédrale Saint-Jean. Le vieux Juif jeta un regard sur cette photographie, s'appuya au dossier de la chaise, baissa la tête et se mit à sangloter, Puis, il souleva la revue comme une relique, et, prenant à peine congé de moi, se retira.
- Si vous connaissez d'autres Polonais, lui dis-je, l'arrêtant au seuil de la porte, passez leur cette revue.
- Oh oui, dit-il, je connais un docteur. . .
Il sortit et subitement c'est moi qui me mis à pleurer. Après ces journées d'attente, parmi tant d'étrangers au visage haineux, après des flâneries à travers cette ville de pierre, balayée par un vent glacial, envahi par des pensées lugubres sur la Pologne étranglée et massacrée - ce pauvre Juif m'avait sauvé du doute et du désespoir.
( . . . )
Partout, je rencontre des personnes silencieuses qui semblent vouloir nous demander quelque chose. Une jeune fille vêtue d'une vieille veste en peau de mouton brodée, comme on en portait à Zakopane, les pieds enroulés dans des haillons, des cheveux d'un noir de jais encadrant un visage florentin aux traits purs et des yeux noirs trop fixes. Une femme que je croise sur la route allant au bureau : son visage fin est labouré de rides, ses cheveux gris coupés courts. Elle suit le milieu de la route, dans la boue jusqu'aux chevilles, dans un étroit, élégant fourreau bleu marine qui a pu être fait à Paris, il y a des années ; elle est chaussée d'énormes bottes soviétiques en cuir non tanné. Ses mouvements, sa svelte silhouette sont jeunes, - sa figure est celle d'une vieille femme et ses bottes sous la robe " parisienne " ont presque l'air d'un caprice d'élégante.
En passant devant les bureaux de l'état-major, j'aperçois un gendarme conduisant un gamin de quatorze ans environ. Celui-ci est tout rouge, les joues ruissellent de larmes et ses yeux gris sont effarés. Sa mère est à Semipalatinsk, son frère dans l'armée. Le père est mort dans le nord. Sa mère l'a envoyé à l'armée pour lui sauver la vie, pour le remettre en contact avec la Pologne. On l'a fait entrer à Wrewsk, où on fonde une école prémilitaire. Mis en quarantaine après son arrivée, il s'en est échappé " parce que tout le monde meurt là-bas ". Les gendarmes l'ont arrêté à son arrivée à l'état-major. Avec quelques camarades, nous arrivons à leur reprendre le gamin. Ostrowski qui est à ce moment directeur du service photographique et cinématographique de l'armée, souffrant lui-même encore des suites du scorbut, le prend sous sa protection. " Qu'on essaye seulement de toucher à ce petit ! " - Mais qu'allons-nous en faire ? Le centre de désinfection est déjà fermé et le délinquant est toujours pouilleux C'est comme cela que le typhus se répand. On ne sait où le mettre. Heureusement une femme amie de sa mère qui se trouve là par hasard l'emmène chez elle.
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According to Saint Teresa of Avila, the time of grace that follows a period of total spiritual drought, a “dark night of the soul,” is so out of proportion to the suffering that came before that one regrets not having suffered more to deserve such happiness.

Selon sainte Thérèse d'Avila, le temps de grâce qui suit une période de sécheresse spirituelle totale, une « nuit noire de l'âme », est tellement disproportionné par rapport à la souffrance qui l'a précédé qu'on regrette de ne pas avoir souffert davantage pour mériter une telle bonheur.
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( Russie, 1941 )
Voyage extraordinaire : gares pleines de monde ; partout des Polonais relâchés des prisons et des camps, en haillons, vêtus de " foufaïkis " ( veste ouatée ) en lambeaux, barbus, avec des yeux brillants et heureux, un peu grisés par la joie. Tout ce monde vient d'Arkhangelsk, de la presqu'île de Kola, de Vorkouta, etc., et se dirige vers le sud-est pour rejoindre l'armée polonaise.
( . . . )
Le 6 septembre, nous sommes continuellement arrêtés sur les voies encombrées ou dans les gares. A Inda, je vois sur le quai, une jeune fille se frayer un passage dans la foule. C'est une Polonaise typique au teint frais, au cheveux dorés sagement tirés, portant une petite blouse blanche très modeste mais fraîchement lavée et repassée. Elle se détache nettement sur le fond de cette foule en guenilles, misérable, sale, aux visages gris d'épuisement, de crasse et d'un manque de soins permanent.
Nos hommes l'entourent ; c'est la première fois depuis deux ans qu'ils voient un jeune fille de chez eux. Ils lui posent des questions d'une voix émue et pleine d'admiration, presque de vénération. Ils lui demandent d'où elle vient, ce que sont devenus ses proches. On dirait que chacun de ces hommes mendie timidement le droit de toucher ses cheveux, ses mains, comme s'ils ne pouvaient croire à la réalité de cette apparition.
( . . . )
Nous tentâmes de former des bataillons sans entraînement militaire, des bataillons de travail pour creuser des fossés. On y enrôlait les hommes les plus mal en point, ceux dont aucune unité ne voulait. Ces gens, c'est-à-dire la masse humaine qui végétait dans des conditions les plus lamentables aux alentours du camps, n'avaient même plus la force de prendre soin d'eux-mêmes. Les uns habitaient une baraque à moitié démolie et sans vitres ; les autres s'abritaient sous des tentes qu'ils arrivaient à peine à monter et qu'ils ne savaient pas entourer de fossés pour drainer l'eau et les préserver du vent. Assis par terre, ces pauvres vieux grelottaient de froid dans leurs lamentables haillons. J'en vis qui, désespérés , versaient de grosses larmes d'enfants. Il y avait parmi eux des hommes qui avaient réussi à se procurer les adresses de leurs familles et qui suppliaient qu'on leur permit d'aller les retrouver, puisqu'ils étaient eux-mêmes plutôt une charge pour l'armée. Mais des difficultés " de principe " s'élevèrent alors et la bureaucratie remporta de nombreuses victoires.
On essaya le les secourir d'une manière qui semblait réelle et humaine. Dans les environs de Totsk, il y avait un assez grand nombre de kolkhozes ; plusieurs étaient aisés mais manquaient de main-d'œuvre. En allant à Bouzoulouk, nous avions pu voir des champs de pommes de terre non récoltées et des gerbes de froment en train de pourrir. On décida donc d'envoyer les hommes les plus faibles dans les kolkhozes où le travail était plus facile. Il était évident que l'hiver approchait à grand pas et qu'il fallait normalement s'attendre dans ces régions à des froids de 30 à 40 degrés auxquels les malheureux ne pourraient pas survivre sous leurs légères tentes.
Dès que les kolkhozes des environs apprirent qu'ils pourraient trouver des ouvriers, leurs agents nous assaillirent en nous promettant monts et merveilles.
Je vois encore le départ pour la gare de deux groupes composés principalement de pauvres Juifs, vêtus de guenilles, à peine chaussés, quelques-uns appuyés sur de grands bâtons, sur des branches mortes. L'un d'eux était enroulé dans une vieille couverture ouatée. Le soir tombait et il pleuvait. On leur fit un petit discours ému, en leur disant qu'un Polonais ne devait pas seulement être un bon soldat, mais aussi un travailleur honnête et qu'on ne les considérait que comme des soldats momentanément en congé. Ils répondirent avec un élan de reconnaissance, suppliant de ne pas les oublier, de continuer à leur venir en aide ; dans ces exclamations et ces prières désordonnées, il y avait le réflexe de pauvres êtres éperdus qui voyaient dans la Pologne et les autorités polonaises leur seul espoir de salut.
Les premières nouvelles sur le sort de ces hommes ( nous en eûmes bien d'autres analogues, ensuite ) nous arrivèrent par deux d'entre eux qui, fuyant leur kolkhoze, vinrent nous retrouver. Ils nous racontèrent qu'on leur avait refusé tout logement et qu'on les faisait passer la nuit dehors sous la pluie battante. Le hangar qui leur était destiné étant rempli de blé, on les avait mis en demeure, soit de déblayer les quelques 60 tonnes qui se trouvaient là, soit de passer la nuit à la belle étoile. Or, c'était déjà l'époque des grandes pluies glaciales.
Mauvaise volonté spéciale à l'égard des Polonais ? Pas du tout - façon normale de traiter l'homme, fût-il citoyen soviétique ; gaspillage. Là-bas, on n'a pas plus de respect de la vie humaine que le respect du blé, témoin ce grand tas de grain que nous apercevions de notre wagon chaque fois que nous allions de Totsk à Bouzoulouk. Il y avait là plusieurs tonnes traînant sur le quai d'une gare, exposées à la pluie et à la neige, sous la garde d'un soldat rouge.
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