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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"La différence entre les surréalistes et moi, c'est que moi je suis surréaliste."
(S. Dalí)

Petite, j'étais fascinée par les tableaux de Dalí. Quel enfant ne le serait pas, devant une pareille explosion fantasmagorique peinte d'une façon aussi réaliste, si loin des abstractions inaccessibles à cet âge-là ? Au point qu'avec le recul, je me demande si les enfants, avec leur sainte ignorance et leur imagination ne sont pas le meilleur public pour les surréalistes; leur perception du monde n'en est parfois pas loin.
Je faisais plein de dessins encore plus "surréalistes" que Dalí, et j'étais persuadée de ma "génialité".
Puis j'ai lu ce livre qui m'a remise à ma place. Mon imagination était loin d'être aussi perverse et débridée que je ne le pensais, et quant au prétendu génie... hmm...!

La quatrième de couverture vous informe que ces mémoires sont un monument que Dalí a érigé à sa propre gloire. Certes, mais à 38 ans Dalí était déjà célèbre, et ce livre retrace surtout la partie de sa vie où Dalí est devenu "Dalí". C'est le récit d'une transformation qui pourrait déstabiliser plus d'un lecteur. Dalí a douté de beaucoup de choses, mais jamais de son propre génie. Il nous ouvre son monde, explique sa méthode paranoïaque-critique, et peu à peu on finit par comprendre que derrière ces mots il y a plus qu'un fanfaron au don artistique.
Dalí n'a cure de se montrer sous un beau jour. Il a écrit son livre de la même façon qu'il peignait : en alignant les mots avec soin et avec un incroyable souci du détail, en laissant apparaître ses visions perverses et érotomanes, ses tendances exhibitionnistes, narcissiques et sadiques.
Ses mémoires sont comme une tortilla géante, fantasque et démesurée, qui déborde de partout de l'assiette de taille standard; elle est délicieuse, mais il faut manger lentement, sinon ça risque de vous étouffer.

Les vrais souvenirs d'enfance sont mélangés avec des "faux", mais vous ne verrez aucune différence. Phobies, égocentrisme, sadisme et fétichisme sont les mots clés de l'enfance de Dalí.
L'Académie de Madrid. La "période dandy", et la rencontre avec les surréalistes. Et avec Lorca, probablement le seul de ses amis qui lui a inspiré de l'admiration, doublée d'une dose de jalousie. Puis, l'exclusion de l'Académie...
Tout cela forme une suite ininterrompue d'anecdotes qui ne peuvent pas vous laisser indifférent, en hésitant sans arrêt entre "admirable" et "détestable".
Mais dès le début, on sait que tout cela converge vers une sorte d'épiphanie : la rencontre avec Gala.
Dalí est incontestablement un génie, mais un génie chaotique. Il affirme que la seule différence entre lui et un fou, c'est que lui n'est pas fou... mais sans Gala Eluard, son unique amour qui l'a soutenu et aimé en retour pendant cinquante incroyables années, qui sait... ? Salvador sauvé ? Gala est la seule chose que Dalí ne livre pas d'une façon impudique, dans son récit. Elle fait le lien entre "Dalí" et la réalité.

L'image que Dalí donne de soi est tout sauf modeste, mais (même si ça peut paraître risible), sous ce masque excentrique à moustaches il y a un peintre traditionaliste plein d'humilité qui préfère le travail bien fait et de véritables valeurs artistiques à la temporalité des -ismes (y compris l'académisme, et les -ismes idéologiques). Dalí réactionnaire, qui ose saluer le roi moqué Alphonse XIII, Dalí qui voue un culte absolu aux peintres classiques, surtout Raphaël. Ses réflexions sur le monde "moderne" font penser à la poésie d'Eliot pleine de désespoir. Dalí qui se moque des surréalistes et de leur surréalisme artificiel de pacotille, car le surréalisme n'est pas un courant, c'est une façon de vivre. La sienne.
Après tout, il n'y a que le temps, cette montre molle, qui décidera si lui aussi est périssable.

"Qu'est-ce que le Ciel ? Où peut-on le trouver ? "Le Ciel ne se trouve ni en haut, ni en bas, ni à droite, ni à gauche, le Ciel se trouve exactement au centre de la poitrine d'un homme qui a la Foi"
A cette heure je n'ai pas encore la Foi, et je crains de mourir sans Ciel." (1941)

J'espère que Dalí a fini par trouver. J'aligne 5 étoiles sur 5 sur le piano, sans aucune hallucination partielle, Salvador Domingo Felipe Jacinto Dalí i Domènech, et merci.

P.S. Comme je n'arrive absolument pas à saisir ni décrire l'instant où la folie bascule dans le génie (ou vice-versa ?), je rajoute un petit bonus qui parle tout seul :
https://www.youtube.com/watch?v=eTOFqBVHG2w
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