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Critique de salocinicolas


La Horde du Contrevent est un récit haletant. Les personnages ont des caractères singuliers. Ces derniers évoluent dans un monde dont les codes dérangent nos a priori scientifiques et physiques, qui nous invitent à faire tabula rasa de nos conceptions contemporaines de l'univers, des lois qui le régissent.
Cependant, malgré cette générosité dont fait preuve l'auteur – qui nous fait suivre, rappelons-le, une aventure merveilleuse tant elle prend forme dans un univers parsemé de détails –, force est de constater qu'il subsiste des points noirs ; ces dernier modifient mon appréciation générale de l'ouvrage. Pour quelles raisons avons-nous un tel sentiment de trahison à la lecture des dernières pages ? Quelle est cette désagréable sensation qui, se percutant de plein fouet à la morale livrée par le dénouement, me fait dire que le final décolore tout ce qui a précédé, fait s'effondrer tout l'édifice en une page ? Pouvons-nous être lassés des lieux communs telles ces fameuses leçons de sagesse populaire nous invitant à jouir du moment présent, à aimer ses compagnons de fortune, son entourage ? Avons-nous des raisons d'être déçus d'un ouvrage qui prononce, une énième fois, le carpe diem, tellement approprié à l'air du temps, à la volonté incessante de jouir de la matière, de consommer ce qui peut l'être ? Sommes-nous dans la caricature lorsque nous nous attristons de voir encore une fois un pied de biche planté dans le corps de l'église, de la religion ? Des morales qui se moquent des superstitions religieuses, n'y en a-t-il pas déjà assez ? L'église n'est-elle pas déjà à l'agonie depuis le XIXe siècle ? Peut-on donc attendre autre chose d'un tel récit, d'une histoire de science-fiction qui plus est ? Ne peut-elle pas être édifiante, pour elle-même et pour nous-même, sans être moralisatrice (évitons le très à la mode « tout est politique », les oeuvres d'art peuvent transcender cela, il faut les lire sans a priori éthique, au risque sinon de politiser la chose même qui permettait un dépassement du politique), n'attendons-nous pas d'une telle oeuvre qu'elle nous élève au-delà des rapports pragmatiques que nous entretenons avec l'existence ? Après tout, la force de la science-fiction est de pouvoir s'abstraire des déterminismes dont nous observons les tenants et aboutissants depuis plus de trois millénaires, en proposant par exemple de nouvelles lois, de nouvelles relations – inédites car imaginatives – entre l'individu et son monde. Posons les choses plus clairement afin d'observer ces fameux points noirs.
Ma critique s'articule autour de trois arguments : c'est un livre qui est incohérent avec la critique des superstitions, s'amusant au passage à « tirer sur l'ambulance » ; c'est un récit qui nous livre une énième leçon de bon sens, de moraline (deuxième et dernière fois que j'utilise ce vocable Nietzschéen, seul véritablement cohérent avec ma critique) propre aux vulgarisateurs de la philosophie ou aux romanciers tenues par cet indélébile axiome – mais néanmoins débilisant, à force de l'entendre à répétition – : « ce n'est pas la fin qui compte, c'est l'aventure, c'est le chemin ! » ; enfin, c'est un livre qui, paradoxalement, se rend difficilement accessible aux jeunes lycéens ou jeunes étudiants tout en s'adressant principalement à eux, à ces amateurs d'aventure – que je suis toujours, d'où ma lecture de la Horde du Contrevent. Pour ma part, je ne souhaite pas lire 700 page d'un roman de science-fiction qui défend simplement des théories philosophiques françaises, s'opposant – en tout bien tout honneur – à la philosophie Platonicienne ; je ne souhaite pas lire 700 pages d'un ouvrage de science-fiction pour m'asphyxier l'esprit avec une énième critique/satire/moquerie à l'encontre des superstitions religieuses, partagées par quasiment tous les prémodernes issues de notre civilisation occidentale – une critique qui sera nécessairement moins percutante que celle formulée par Kant ou Wittgenstein. Par contre, Je souhaite lire 700 page d'un roman de science-fiction pour voyager vers l'inconnu, pour m'extirper des réalités dont j'oublie l'existence pendant la lecture, pour voir ce que me propose un grand auteur, pour m'immerger dans son monde, dans l'incommensurable espace que nous ouvre son imagination, non pas pour être ramené à la réalité par une morale – comme vous l'aurez compris – qui n'est pas l'objet d'un grand intérêt une fois l'exigence philosophique accrue.

Premièrement, l'auteur tire sur l'ambulance : « voyez comme fous sont ces gens qui se noient dans des chimères, artifices institutionnalisés par la chrétienté depuis des siècles de mysticisme religieux » ; c'est le genre d'exclamation qui ont fait du bien, à partir du XVIIIe puis plus largement à partir du XIXe siècle car l'histoire était encore héritière de coutumes, de moeurs dont le fondement même paraissait soudainement illégitime. Mais aujourd'hui, au XXIe siècle, ne peut-on pas laisser cette gageure au passé ? Peut-on vivre en respectant ce qui constitue notre histoire dans son essence, ce qui porta une civilisation à un niveau de développement que nous lui connaissons aujourd'hui ? D'autant qu'il s'agit ici de conter l'histoire d'une bande qui évolue dans un univers de science-fiction, non de nous convaincre de l'inexistence de dieu ou de la débilitée des croyances superstitieuses. Voici notre interprétation – subjective, il est vrai – du positionnement critique de l'ouvrage : on nous fait comprendre, implicitement, que croire à l'origine du vent est chose folle, que cette même croyance nous fait passer à côté de la vie véritable, qu'il n'y a pas d'extrême amont en tant qu'entité spirituelle, créatrice ; une lecture parallèle est donc de dire la même chose des croyances occidentales qui furent entretenues durant des siècles : croire en dieu, en faire une quête spirituelle est aussi fou ; c'est en tout cas ce que cherche à nous montrer cette histoire, appuyée par un dénouement assez aride en comparaison avec tout le reste. Sauf que je ne reproche pas simplement a l'ouvrage de « tirer sur l'ambulance » mais surtout de le faire de manière impertinente, de faire se ressentir une certaine incohérence quant à cette posture critique : le monde développé dans La Horde du Contrevent dépeint un univers empli de surnaturel avec des créatures réussies telles les chrones, ou le véramorphe, de puissances et entités obscures tel le vif ou l'existence d'une 8e et 9e forme de vent – , ce qui induit donc un monde spirituel et fantastique. Et, parallèlement à ce background quasi-mystique, il caricature, il fait la satire de ces hébétés, inspirés par des vertus monacales, qui perdent leur temps et leur vie à chercher et a croire une chose inexistante, à mener une quête spirituelle, qui n'est le fruit que de leur esprit. Dans notre réalité, on peut construire une critique Kantienne, instiguer un tribunal basé sur la logique suivante : si Dieu ne peut ni être observé en tant qu'objet donné dans le sensible, ni être déterminé comme une condition a priori (comme le temps et l'espace) de la raison, il ne peut pas être certains qu'il existe, et Ludwig Wittgenstein, plus dur encore, rajouterait : « ce dont on ne peut parler, il faut le passer sous silence » [tractatus]. Vous voyez se déchirement entre un postulat qui vogue sur le mystère, le mystique et qui, à côté, critique le mysticisme même, les quêtes qui aliènent l'existence et font que l'individu passe à côté du bonheur véritable. Oui, des indices mystiques peuplent l'univers de la Horde du Contrevent, des pouvoirs, des créatures, des forces ésotériques ; la question est donc différente. D'où la rupture provoquée par la fin, qui nous ramène a une réalité dont nous nous éloignions jusqu'ici, qui rompt avec le monde fantastique décrit depuis 700 pages : on passe d'un monde de science-fiction/fantastique a un monde désenchanté, un monde tel que nous le concevons nous-autre ; une terre qui est alors ronde, sans surprise, un monde parfaitement matériel ou aucune origine spirituelle ne produit le vent qui se déverse sur l'extrême aval ; on nous demande de faire tabula rasa une première fois, pour ingurgiter l'ésotérisme inhérent à l'univers de la Horde, puis une deuxième fois, pour oublier d'un coup cet ensemble mystique et recevoir, brutalement, une simple morale, fatiguée par le temps et ses répétitions. Voilà l'ampleur de ma déception, de m'être accroché au récit corps et âme, de m'être investit, d'avoir balayé l'hypothétique « fin attendue » et me confortant dans l'idée que l'auteur était bien au-dessus de cela ; pour finalement lire la fin, qui correspond à ce genre de dénouement que l'on devine tellement vite qu'il semble impossible à exploiter tant la banalité dont il fait preuve ferait montre d'un manque de créativité.

Venons-en au deuxième point et parlons de cette morale, de cette énième leçon de sagesse très populaire : « ce n'est pas la fin qui compte mais le chemin » ; Merci, cela est du bon sens, cela est rabâché depuis des années par nombre de vulgarisateurs de philosophie ou par des coachs en développement personnel. A ce titre, le voyage d'Hector de François Lelord, s'intéresse à cette question du sens de la vie, du bonheur, mais en fait le plot principal de son récit, de manière assez nuancée et intelligente – bien que très simple, comparée à des ouvrages de philosophie existentielle : Kierkegaard et sa philosophie de l'angoisse ne vous laisserons pas de marbre. En résumé, pour relier ce second point avec le premier, le monde dépeint dans la Horde oblige le lecteur à casser ses codes, à détruire quelques-uns de ses repères scientifiques pour rentrer dans l'univers ; alors on s'exécute et effectivement, on constate qu'il existe des choses qui transgressent nos lois physiques ; puis, à la fin, on nous assène un coup qui fait se détruire toute la créativité des 700 pages précédentes : on nous dit « en vérité, le monde est rond, il n'y a aucune force supérieur à rechercher ». Et la 8e et 9e forme du vent dont les protagonistes font l'expérience dans l'extrême amont, ne sont-elles pas des choses surnaturelles ? Cela est donc balayé d'un revers de main par cette fin qui vous dit : « tout ceci est le point de départ et la fin d'une vie, menée à rechercher une fausseté mais dont l'aventure même constitue l'intérêt, dont la trajectoire parcourue est le sens de la vie ». Une morale qui aurait était simplement résumée avec la phrase du livre consulté par Sov dans la tour d'Ær : « vie le jour comme si c'était le premier » (citation approximative, de mémoire).

Puis, en dernier lieu, un légers problème survient entre le style qui se veut inaccessible et le public visé : l'ouvrage est dur à lire, il correspond donc à ce que j'attends, à une oeuvre qui, pour que je sois emporté par elle, m'oblige à concentrer mes efforts pour produire de l'imaginaire, qui m'embarque dans son antre à condition que je fasse l'effort de la suivre dans la complexité de sa prose. Puis finalement, quand on tisse une toile de fond, quand on se remémore les points clefs de l'aventure, on sent bien que le livre est une chouette aventure pour quiconque veut se repaitre d'un blockbuster mémorable, mais on sent aussi que le style utilisé traduit le souhait de s'adresser à un public particulier, avancé, mais qu'il ne parvient pourtant pas à satisfaire (au vu des récentes critiques négatives que j'ai relevé, toutes étrangement bien construites et argumentées), qu'il déçoit par son dénouement, ses occurrences philosophiques redondantes, et par sa morale attendue, prévisible.

Il me reste pourtant des images, des moments d'allégresse au côté de cette horde qui semble si réelle ; c'est là que se situe le talent de l'auteur, dans le réalisme de ses personnages auprès desquels j'ai moi aussi planté mes piolets dans le sol, auprès desquels j'ai vécu une demi-vie et auprès desquels j'ai fait mon deuil des compagnons perdus en chemin, des membres de la horde, d'une famille. Ce livre mérite largement qu'on s'immisce en son sein, qu'on récolte ces fragments de vie au côté de cette formidable bande, et qu'on oublie à jamais cette fin, ces leçons philosophiques trop abondantes – qui risquent de vous faire sortir de l'ouvrage si vous êtes férus de philosophie et que ces mêmes théories vous semblent ne pas être a leur place dans un univers normalement autre que le nôtre, un surplus de référence qui dessert donc le récit, qui lui ôte de son autonomie, de sa consistance. Je recommande à quiconque souhaite vivre une aventure digne de ce nom, de se lancer dans cette odyssée tel un traceur face au vent.

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