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Critique de gerardmuller


Meursault, contre-enquête/Kamel Daoud
Le sujet d'abord.
L'auteur, Kemal Daoud, dans ce livre veut rendre un hommage en forme de contrepoint à « L'Étranger » d'Albert Camus et ce, soixante-dix ans après sa publication. Il est donc nécessaire d'avoir lu le roman de Camus avant de lire ce récit. Roman dont Haroun dit en forme d'éloge : « …ce livre étrange où il raconte un meurtre avec le génie d'un mathématicien penché sur une feuille morte… »
Les faits : « Un Français tue un Arabe allongé sur une plage déserte. Il est quatorze heures, c'est l'été 1942. Cinq coups de feu suivis d'un procès. L'assassin est condamné à mort pour avoir mal enterré sa mère et avoir parlé avec elle avec une trop grande indifférence. Techniquement, le meurtre est dû au soleil ou à de l'oisiveté pure. »
Kamel Daoud met en scène Haroun, le narrateur, qui se souvient soixante-dix ans après avec une certaine frustration des faits. Lui le frère de l'Arabe tué en 1942 par Meursault, s'adresse au lecteur. C'est ce que je suppose bien qu'il soit dans un bar et semble parler tout seul.
Meursault, un être en proie à l'oisiveté et l'absurde, et qui a commis un crime sans véritable raison, dans une nonchalance majestueuse selon Haroun.
Et cet Arabe qui est resté anonyme dans le roman de Camus et dont on n'a jamais retrouvé le corps a un nom : Moussa. Un prénom qu'il faut lui restituer.
« Mon frère s'appelait Moussa. Il avait un nom. Mais il restera l'Arabe, et pour toujours. »
Nous sommes alors en 1962, soit vingt ans plus tard et l'indépendance de l'Algérie est là. Haroun parle de l'époque coloniale :
« Nous, nous étions les fantômes de ce pays quand les colons en abusaient et y promenaient cloches, cyprès et cigognes. »
« Maintenant, les colons s'enfuient, ils nous laissent souvent trois choses : des os, des routes et des mots ou des morts… »
Et le récit va basculer :
« C'étaient les premiers jours de l'Indépendance. Durant cette période étrange, on pouvait tuer sans inquiétude… »
Haroun comme Meursault va tuer. Une manière de vengeance.
La forme ensuite.
Le style est beau et coloré avec une nuance poétique. Il peut devenir critique et acerbe si besoin est. Avec un fond d'amertume et de rancoeur. Et même de révolte et de polémique.
« Quand j'écoute réciter le Coran, j'ai le sentiment qu'il ne s'agit pas d'un livre mais d'une dispute entre le ciel et une créature ! La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas. J'aime aller vers ce Dieu, à pied s'il le faut, mais pas en voyage organisé…C'est l'heure de la prière que je déteste le plus. ..Crier que je ne prie pas, que je ne fais pas mes ablutions, que je ne jeûne pas, que je n'irai jamais en pèlerinage et que je bois du vin et tant qu'à faire, l'air qui le rend meilleur. Hurler que je suis libre et que Dieu est une question, pas une réponse… »
Magnifique passage.
« Regarde un peu le groupe qui passe, là-bas, et la gamine avec son voile sur la tête alors qu'elle ne sait même pas encore ce qu'est un corps, ce qu'est le désir. Que veux-tu faire avec des gens pareils ? »
Haroun va faire la rencontre de Meriem, elle aussi interpelée par l'histoire de Meursault. Meriem une belle femme qu'Haroun va aimer passionnément :
« Elle appartient à un genre de femmes qui, aujourd'hui, a disparu dans ce pays : libre, conquérante, insoumise et vivant son corps comme un don, non comme un péché ou une honte. »
Un passage à méditer…
L'analyse enfin.
Kamel Daoud reconnaît la qualité de chef d'oeuvre du roman de Camus. Son personnage relève les points du récit qui lui font mal ou qui lui paraissent inexacts, comme la femme objet de la discorde entre Raymond, l'ami de Meursault (ami qui peut-être n'a jamais existé selon Haroun), et l'Arabe, une femme qui en fait ne serait pas sa soeur mais son amie. Et là, Haroun a des mots terribles concernant l'époque qui voyait Moussa défendre l'honneur d'une femme :
« Défendre les femmes et leurs cuisses ! Je me dis qu'après avoir perdu leur terre, leurs puits et leur bétail, il ne restait plus que leurs femmes. »
Kamel Daoud tente dans ce livre d'opposer le monde et l'acte absurdes de Meursault à l'absurdité de son pays aujourd'hui et son attaque pertinente et réaliste en règle contre l'Islam ne va pas lui valoir que des amis. Il y réussit avec brio mais comme l'ont dit certains lecteurs, il veut trop en dire et cela devient parfois un peu long et décousu.
Mais le pari tenté par Kamel Daoud de mener une contre-enquête sur le meurtre de Meursault et ses à-côtés est un bon moment de littérature française : en effet, Kamel Daoud use de notre langue avec talent et c'est un plaisir de lire ses belles lignes.
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