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Critique de gerardmuller


Zabor ou Les Psaumes
Kamel Daoud (né en 1970)
le Zabor, ce sont les Psaumes, c'est un chant et un livre, une écriture.
le narrateur, orphelin de mère, abandonné par son père Brahim et recueilli par sa tante, a grandi dans la compagnie des livres qui lui ont fait découvrir une nouvelle langue et donc tout un monde. Il est convaincu d'avoir un don, celui d'écrire pour repousser la mort :
« L'écriture a été inventée pour fixer la mémoire, c'est la prémisse du don : si on ne veut pas oublier c'est d'une certaine manière qu'on ne veut pas mourir ou voir mourir autour de soi. Et si l'écriture est venue au monde aussi universellement, c'est qu'elle était un moyen puissant de contrer la mort. »
Un peu plus loin :
« Un homme qui dit qu'il écrit pour sauver des vies est toujours un peu malade, mégalomane ou affolé par sa propre futilité qu'il tente de contrer par le bavardage. »
le narrateur, alter ego de l'auteur, se confie :
« J'ai presque trente ans, je suis célibataire et encore vierge…Amoureux véritable, je m'épanouis dans l'immense expression de la compassion…Il y a dans ma mission une part de métaphysique, et surtout la loi de la Nécessité. Je crois en Dieu, mais je ne cherche pas à lui parler. Être est une tragédie plus vaste que ce tête– à - tête devenu lassant. L'essentiel est ailleurs que dans la prière ou la désobéissance… »
Et son défi va être d'exercer son don à l'égard de son père mourant malgré les relations tendues entre les deux. Son autre défi serait d'épouser Djemila la divorcée, la répudiée, la renégate aux yeux du village. Elle peuple tous ses rêves : elle a 24 ans et deux fillettes et est condamnée à vivre comme une décapitée en ne montrant que sa tête par la fenêtre.
J'ai eu un peu mal à entrer dans ce long monologue et à en suivre le déroulement, le style étant, quoique parfait, parfois hermétique. L'amour de l'auteur pour les mots et l'écriture en général transparaît à chaque page de ce beau livre mais l'ennui guette le lecteur distrait quoique ce soit très bien écrit.
« À côté de la petite, assis et silencieux pendant que le parfum dessinait sa mère (Djemila) et l'étymologie de son prénom, je m'absorbais dans ce rêve prodigieux supposant le double martyre du souffrant et de l'écrivant liés dans la même oeuvre… J'aimais la calligraphie, qui se pliait autour des objets pour les envelopper d'ascendance, les entourait comme un serpent sage et vieux puis s'écoulait comme une robe, des cheveux de femme, des lierres ou des sentiers. J'adorais écrire en arabe, mais mes mots avaient parfois le poids de l'hérésie… La texture de mon univers n'était pas encore l'encre de mon écriture, elle n'y correspondait pas, et restait rétive, lointaine, comme posée sur l'autre bord d'une rivière que je ne pouvais traverser, ne sachant pas nager. ..Mais mon lien avec le verbe est charnel, et mon déchiffrement vise l'assouvissement, le dénudement d'un corps… le rite est l'antécédent de la langue, une cadence contre l'angoisse… Je n'avais pas vraiment de conscience religieuse, à vrai dire, et le rite des prières autant que les invocations diverses sur la générosité de Dieu, sa magnanimité et ses colères m'irritaient comme des flagorneries, mais j'appréciais cet univers de rituels et de routines, les prières de l'aube, le pendule des rites…Je n'étais pas devenu incroyant, mais je regardais ma religion comme un manuel épuisé.»
Kamel Daoud écrit en français et il en explique largement les raisons dans son livre que l'on peut considérer comme partiellement autobiographique :
« Cette langue guérit mes crises, m'initia au sexe et au dévoilement féminin, elle m'offrit le moyen de contourner le village et son étroitesse…Elle acquit la force d'une souveraineté car elle était royale…Dernière vertu, elle était mienne dans le secret, intime, dérobée à la loi de mon père, à celle de l'école, au droit de regard de ma tante et à l'univers…Une langue folle, riche, heureuse… Cette langue témoignait d'un prestige, elle était la preuve qu'on avait fait un grand voyage même si on n'avait jamais quitté Aboukir…Par un raisonnement simple, imprévu et qui tombait sous le sens : faute de livres, j'allais écrire, et cette langue ne serait pas seulement l'instrument de ma rêverie mais aussi celui de ma purification, de ma rédemption… »
Daoud considère que la langue arabe est piégée par le sacré et les idéologies dominantes. Né en Algérie il a rejoint un mouvement islamiste qu'il a quitté à l'âge de 18 ans, ne se considérant plus, en connaissance de cause, comme musulman pratiquant et se sentant plus proche du bouddhisme. Journaliste et écrivain, il est frappé en 2014 d'une fatwa par un imam salafiste. Son roman « Meursault contre-enquête » lui a valu le prix Goncourt du premier roman en 2015. J'avais beaucoup aimé ce livre.
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