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Critique de morganex


Ce qui m'étonne le plus dans la dualité Frederic Dard/San Antonio est le fait que le vrai nom de l'auteur soit moins connu que celui de sa créature. Il y a du syndrome Frankenstein là-dessous. le monstre créé par Shelley est plus renommé que son créateur; s'y ajoute un titre de roman qui injustement porte le nom du Docteur. San Antonio masque Dard et c'est bien dommage. Je l'avais constaté par le passé. Les lois commerciales du marché trompent les évidences: pour ma part le second l'emporte sur le premier.

Pourquoi avoir laisser filer autant d'années avant de retrouver Frederic Dard et un de ses romans..? de San Antonio, je peux comprendre ma désormais abstinence à le lire: j'en ai tant vu passer, jusqu'à plus soif, jusqu'à l'overdose, jusqu'à ne plus vouloir y retourner. SA m'a lassé, par usure, ses Béru, Pinaud, Félicie et Berthe récurrents, caricaturaux et jubilatoires, sa prose argotique, picaresque et flamboyante à tous azimuts dispersée, Mais du Dard, en polar classique, sans le petit monde de SA autour, pourquoi m'y résorber ? Cela avait été, ponctuellement, il y a longtemps, quatre à cinq fois pas plus, un vrai plaisir. A chaque découverte s'ouvrait une parenthèse de qualité, étonnante et brève entre deux lectures plus conséquentes. J'y trouvais le plaisir inattendu de tenir entre les mains un scénario bien bâti, calculé et maîtrisé dans sa simplicité et sa complexité, des personnages bien campés et une prose efficace (quelques fois belle et imagée).

Pour entamer "Cette mort dont tu parlais" il m'a fallu la curiosité d'un internaute-ami qui s'essayait à son premier San Antonio. Il en prévoyait la chronique dans la foulée. le titre lu était: "Mes hommages à la donzelle". En voici le compte-rendu en lien hyper-texte.

http://livrepoche.fr/mes-hommages-a-la-donzelle-san-antonio-frederic-dard/

Il adorait les Romans Durs de Simenon, était plus réservé sur son versant Maigret. Perso, c'était l'inverse, le commissaire à la pipe ayant mes faveurs. Y avait t'il un parallèle de ressentis divergents à établir entre SA et Dard ? Tout en gardant en tête que le belge est quand même un ton au-dessus du naturalisé suisse, n'était-ce pas le moment de retourner vers l'isérois de naissance...? Dont acte.

Ce qui suit spoile une partie de l'intrigue:



L'épilogue va déboucher sur un enfer sur terre pour deux protagonistes qui ont tout fait pour le vivre. Cette descente aux enfers fait tout l'intérêt du roman. Les ingrédients de départ ont le goût du vaudeville, ceux de l'épilogue celui du sang.

Le roman est empreint de cette vie simple et tranquille des 50's, de la fin du premier tiers des trente glorieuses. La vie quotidienne promettait alors d'être éternellement heureuse. La Côte d'Azur était le bout du monde merveilleux de vacances estivales rêvées. Pas de télé, du formica pour les meubles, encore peu de considération pour la nouveauté dans un monde qui s'ouvrait à peine au consumérisme. Un paradis perdu, où la vie était facile, sans guère de soucis matériels. Mais quand l'amour, l'argent, l'orgueil et le désir de vengeance s'en mêlent, éternels catalyseurs du pire, la machine sociale se dérègle, l'individu et ses bassesses prennent le dessus, le drame explose comme un abcès qui se vide et déchire tout sur son passage. C'est ce qui attend à parts égales Paul, Mina et Dominique. Avec quelques aménagements temporels, on sent presque la pièce de théâtre possible. le mari, l'épouse et l'amant frappent les trois coups, le rideau s'ouvre sur le drame à venir. le premier acte montre le cocu aveuglé, le second le même renseigné sur sa situation, le dernier le voit à l'épreuve de la vengeance.

Le roman ressemble aux films d'alors, ceux projetés dans les salles obscures de cinémas de quartiers bondés, ceux devant lesquels le spectateur fasciné rêvait, riait ou pleurait. Cette lenteur d'action en noir et blanc, cette progressivité douce entre les plans. Ces phrases rondes et lentes, conçues pour être bien entendues et comprises. Je me suis ainsi surpris à voir les péripéties lues comme des scènes animées en noir et blanc, à me laisser bercer par des dialogues très explicatifs..

"Cette mort dont tu parlais" est un huis clos angoissant qui décortique au plus fin trois personnalités, deux à l'oeuvre d'un coup fourré, une au service d'une vengeance. Chacun, tour à tour, place ses pièces sur l'échiquier, attentif au réactions de l'autre, jusqu'au coup final. Mais qui portera l'estocade..? Y aura t'il seulement un vainqueur..? C'est tout l'intérêt du crescendo final avant l'épilogue. le dernier tiers du roman marque d'un éclairage nouveau une situation classique, introduit une part de machiavélisme percutant.

Le triangle amoureux à l'oeuvre ici, figure récurrente de la littérature, est donc une nouvelle fois mis à contribution. Il est si souvent revenu sur le tapis d'innombrables récits policiers et autres qu'il n'y a plus de plaisir, pour le lecteur d'aujourd'hui, à le croiser à nouveau comme axe principal d'intrigue.. On en connait maintenant, usées jusqu'à la corde, presque toutes les variantes. Pouvait t'on encore en extirper du jus en 1955..? Dard innovait t'il à l'époque ? Je ne sais pas et ne le pense pas. Ce qui est de nos jours presque rédhibitoire était peut-être au coeur des 50's garantie de succès. Je pense ici, pour croire à sa fraîcheur en 1957, au succès cinématographique retentissant des "Diaboliques" (1955) de H.G. Clouzot qui abordait une thématique principale presque identique*. Toujours est t'il qu'en 2019, à mon ressenti, les ficelles utilisées me furent trop perceptibles durant le premier tiers, puis suffisamment cachées et subtiles sur la fin pour entretenir mon intérêt et emporter mon satisfecit. En conclusion: user d'un thème aussi récurrent est, certes, la faiblesse du roman; mais le sentir travailler par le métier affûté de Dard un plaisir. Ce diable d'écrivain à l'aise sur tant de terrains si divers montre ses réelles capacités à aligner les mots. L'empathie du lecteur pour les personnages est forte. Les portraits sont bien taillés; même les seconds rôles ont leurs parts de considération efficace.

Mais tout cela reste néanmoins du roman de gare. le Fleuve Noir en avait fait son fond de commerce. Pourtant, pour une fois, un roman se montrait largement au-dessus du lot.

* le générique demandait expressément au spectateur de ne pas révéler la fin à ceux qui viendraient voir le film ultérieurement.
Lien : https://laconvergenceparalle..
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