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Critique de Soleney


Ce livre est peut-être la plus déstabilisante de mes lectures 2016. J'ai été tour à tour intriguée, choquée, révoltée, scandalisée et écoeurée. Et parfois le tout en même temps.

Pour résumer, c'est l'histoire d'une jeune femme (dont je me rends compte à présent qu'elle est anonyme) dans ce qui pourrait être notre futur proche. La société dans laquelle elle vit ressemble énormément à la nôtre, à quelques différences près : acheter des fleurs y est un luxe, manger des fruits et légumes est un gage de richesse, la nature y est si rare que le personnage principal est prêt à tout pour passer un week-end à la campagne, les rapports hommes-femmes y sont très différents, et vu les conditions de vie de l'héroïne, sa pauvreté est alarmante.
Cette jeune personne nous raconte son histoire en livrant le récit des événements qui l'ont conduite à la situation présente – mais quelle est-elle ? Une chose est sûre : ça a commencé quand elle a accepté de travailler dans une chaîne de parfumerie.

Disons-le franchement : l'ambiance de ce roman est malsaine au possible. Les rapports entre hommes et femmes sont verticaux. Il est, par exemple, totalement admis qu'une chômeuse doive céder aux caprices sexuels de son futur employeur – pour « tester » ; pour la clientèle. Car une parfumerie, dans ce monde-là, n'est pas une simple parfumerie. Les vendeuses sont tenues de faire des massages (plus ou moins intimes) aux clients avec des produits de la maison, d'accepter des attouchements, et parfois de se prostituer. Rien n'est trop laid au nom des multinationales…
Mais cela ne concerne pas seulement le marché du travail. Dans les piscines, les hommes s'invitent couramment dans les vestiaires féminins pour regarder, draguer et s'octroyer quelques plaisirs sexuels, beaucoup de vieillards attendent aux tourniquets des stations de métro pour se coller aux jeunes filles qui veulent frauder, les femmes sont reléguées aux métiers de la vente et sous-payées, et les hommes les plus influents du pays font des orgies avec de jeunes filles pour fêter le nouvel an.
Cependant – et c'est là que ça devient étrange –, la protagoniste ne s'en plaint pas une seule fois. Elle a la chance d'avoir un compagnon qui ne lui en veut pas de travailler ( !), d'avoir un logement (miteux) qu'elle arrive à payer (en sautant quelques repas et en n'achetant que le strict minimum), et d'avoir un emploi stable. Beaucoup de filles n'ont pas ce bonheur…

C'est à peu près à ce moment-là qu'elle a l'impression que son corps se transforme. Au tout début du récit, la voilà qui prend deux ou trois kilos qui mettent son corps en valeur : ses cuisses deviennent plus roses et pleines, son teint est resplendissant de santé, ses seins sont plus rebondis, et ses relations au sexe opposé deviennent de véritables succès (commerciaux). Tout le monde la déclare « saine », ce qui semble être un compliment bien plus flatteur que « magnifique » ou « splendide ».
Évidemment, on ne peut que faire un parallèle entre son animalité naissante et la bestialité à laquelle sont reléguées les femmes. Ces transformations sont-elles réelles ou n'est-ce qu'une psychose ? La protagoniste réalise peut-être que ses pairs ne sont plus que des objets sexuels pour ces messieurs et que plus aucune humanité ne les habite ? Serait-elle en train de l'intérioriser, de le nier et de le faire passer dans l'inconscient, d'où cet « avertissement », cette illusion ?

Marie Darrieussecq critique notre société en grossissant les traits et caricaturant les rapports entre les sexes. Mais quand on y pense, de quoi se plaint-on ? Nous les femmes avons désormais le droit de vote, de travailler, d'ouvrir un compte en banque sans l'autorisation du mari (j'en reviens pas que les choses aient pu se passer ainsi il y a seulement quelques décennies), de s'habiller selon nos goûts, de ne pas avoir d'enfants et d'être libres ! Quelle chance nous avons de ne pas être nées dans un pays plus misogyne !
Et cependant, quand je vois certains clips qui passent à la télé, où on ne voit des femmes que leurs fesses trémoussées, que de longues jambes parfaitement épilées, des formes appétissantes (et on zoome dessus, hein, parce que c'est pas suffisant quand ça ne prend que 70% de l'écran), quand je vois des films où, très souvent, elles sont reléguées au rôle de tableau (soit jolie mais ne prend pas trop de place et surtout, n'ait pas l'air trop intelligente), quand je vois des pub où une femme nue simule un orgasme en mangeant son yaourt, je me dis qu'il y a un truc qui tourne pas rond. Ces filles-là ne sont-elles pas réduites, justement, au rôle d'objet sexuel ? N'essayerait-on pas aussi de nous faire croire que c'est la norme ?
Alors bien sûr, ce n'est pas TOUS les clips, ce n'est pas TOUS les films, ce n'est pas TOUTES les pubs – sinon la couleuvre serait un peu trop grosse à avaler. Évidemment, il y a des exceptions – encore heureux ! Mais le message est là : les filles sont bien plus souvent déshabillées que les garçons dans les médias (je ne me rappelle plus des chiffres, mais ils étaient alarmants ; et quand je les avais communiqué à mon frère, il avait haussé les épaules : « En même temps, personne n'a envie de voir un mec torse nu. » Ben… Si. Les femmes. Mais visiblement, ça ne doit pas compter.).



Pour résumer, Truismes est un roman transgenre qui prend plaisir à secouer son lectorat, qui m'a écoeurée à plusieurs reprises, mais qui, en définitive, m'a plu. Je ne le recommanderai certainement pas à des mineurs, mais pour ceux qui ont le coeur accroché, allez-y. C'est bien écrit, à aucun moment ça ne devient vulgaire (j'insiste sur ce point), ça nous donne un regard neuf sur la société et la place des femmes et ça peut se lire en une après-midi. Allez-y : essayez et dites-moi ce que vous en avez pensé.
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