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Critique de isanne


Quand j'ai ouvert ce livre, j'ai eu l'impression de pénétrer dans un lieu qui ne m'était pas inconnu, un jardin verdoyant, un espace végétal dans lequel le vent fait murmurer les feuilles en les agitant, dans lequel l'ombre des ramures joue avec les rais du soleil pour chuchoter... Un lieu qui apaise, dans lequel la solitude se fait moins présence. Je me suis assise sur un banc, à l'ombre d'un olivier immobile, et j'ai écouté... A moins, qu'à l'invitation des phrases de l'écrivain, j'ai pu fouler le sable de l'île d'Ischia, chère à son coeur d'enfant, et senti le sel imprégner ma peau tandis que les mouettes criaient les mots des récits à lire...

Parce que lire ces textes d'Erri de Luca, c'est un peu comme une conversation sans questionnement. L'écrivain, par petites touches, comme il le fait parfois, se raconte, raconte les siens et l'Italie... le lecteur devient auditeur silencieux, il s'imprègne de cette vie qui se déroule pour lui, de ces idées débattues, de ces méditations, et surtout de ce regard permanent et curieux de l'Autre.
C'est un monologue tout en simplicité qui n'existe que pour cheminer autour de l'homme-écrivain, pour en dire un peu, pour en suggérer beaucoup...

Si, à certains passages, j'ai eu l'impression fugace d'une relecture, j'ai vite réalisé qu'il n'en était rien car Erri de Luca, toujours merveilleux conteur, relate un même évènement ou épisode de façon autre, un peu comme si le regard provenait d'un autre angle de la scène décrite, un peu comme si le lecteur revêtait l'apparence d'un autre personnage à chaque fois et qu'ainsi son point de vue soit déplacé, l'obligeant à se questionner à nouveau pour des faits similaires racontés d'un livre à l'autre.

Erri de Luca parle de l'enfance, de l'évolution de ce monde des découvertes vers celui de l'âge adulte souvent bien désespérant.

Il évoque ses parents, son départ en ligne de fuite pour faire de sa vie un engagement au services d'idées plus généreuses pour l'opprimé ou l'exclu, pour ne pas juste embrasser un chemin tout tracé. Il dit leur absence de jugement, leurs pas vers la compréhension, les bras ouverts quand viendra l'heure d'un retour vers eux...

Il se remémore les murs de livres qu'ont été ceux de sa chambre, livres de son père, livres qui en infusant en lui, même malgré lui, de par leur proximité, l'ont nourri, lui, l'homme adulte qui se défait de sa journée de labeur ouvrier en lisant, toujours et encore plus, debout dans le tram ou le bus qui le ramène vers la nuit qui l'attend. Lui pour qui la lecture permet de franchir une frontière, celle du monde de la peine et de la tâche vers celui du repos ou de l'étourdissement de l'homme harassé.

Il fait revivre les compagnons de lutte, ceux rencontrés et côtoyés pour inventer un monde plus juste et meilleur. Met en musique – et quelle musique ! - les actes et les repos en évoquant la personnalité de Bob Dylan, figure d'une génération dont il ne s'est pourtant jamais voulu l'incarnation, lui faisant don de mots chantés pour dire lui aussi, à sa manière, ses aspirations à l'autre bout du monde, loin d'une Italie en pleine effervescence. Bob Dylan, un des pointillés de cette révolte qui embrase les continents dans ces années...

Et il se fait conteur quand lui qui ne croit pas réécrit certains passages des évangiles d'une façon si humainement acceptable, quand il invite ce chien abandonné, image incarnée de tous ces humains sur le chemin d'un espoir qu'il n'atteindront jamais. Ce chien dont la vie est tout sauf vaine… et dont l'imaginaire tisse les moments de désespoir.

Bouleversant est le regard posé sur l'étranger, le différent, celui qui n'a pas la même couleur de peau, celui qui n'a pas la même religion, celui qui tente seulement de vivre sur un territoire où il n'est pas seulement le bienvenu... Bouleversante est cette solidarité, cette fraternité des exilés, entre ceux qui foulent pour le labeur un sol qui n'est pas le leur, acceptant d'être exploités...

Et sur ses actions qu'il minimise, en restant sur la bordure de leur réalité, pour expliquer son désir d'engagement là où la main tendue possède encore une existence et surtout la valeur incommensurable qu'elle devrait toujours représenter. Là où le sourire se fait trésor à partager, monnaie précieuse à dilapider sans compter...


Lire Erri de Luca est pour moi un besoin, une nécessité.
Avec lui, descend sur le lecteur un instant d'humanité, que souffle l'écrivain par sa personne et ses idées. Avec lui, un espoir ténu en l'Homme demeure, celui d'une générosité jamais assouvie qui pourrait être au lieu de cet égocentrisme qui construit les sociétés actuelles. Une réalité rêvée dans laquelle l'effacement et l'humilité seraient l'évidence, chassant ce besoin de briller et cette indifférence à l'Autre qui habitent nos civilisations choyées.

Et s'il ne restait qu'un juste, alors...
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