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Critique de VincentGloeckler


On voudrait parfois ne pas dire grand-chose d'un texte, juste garder un silence stupéfait et respectueux, et exprimer ainsi, par ce mutisme même, notre totale admiration, notre profonde adhésion à ce que ses mots nous ont donné. Et c'est bien le cas, à cet instant, en refermant le nouveau roman de Virginie DeChamplain, on aimerait lui épargner le bavardage du commentaire, à peine célébrer son étrange beauté et en quoi les histoires dont il est tissé nous touchent au plus intime, tant ici, comme dans le récit Farah le dit à un moment de l'oeuvre de Margaret Atwood, on peut apprécier tout l'art mis par l'autrice pour laisser « la réalité se lover dans la silhouette terrifiante de la fiction ».
L'allusion à Margaret Atwood est, d'ailleurs, bien justifiée, puisque le roman de Virginie DeChamplain emprunte une voie narrative proche de celle de l'auteur de la Servante écarlate, en offrant comme décor à l'intrigue un monde à peine différent du nôtre, notre monde de demain peut-être, certains diront post-apocalyptique, en tout cas un monde bouleversé par les sombres évolutions politiques que nous pouvons redouter et les menaces climatiques que nous devons craindre.
La société dans laquelle vivent les personnages du roman a laissé les murs se construire de plus en plus haut autour d'elle, pour interdire l'accès au territoire à d'indésirables étrangers. Mais ces solides frontières n'ont en rien arrêté les ouragans, les vagues des flots déchaînés, les incendies violents, générés par un changement climatique, désormais incontrôlable… Cela vous rappelle quelque chose, non, ce paysage pas si dépaysant ?
Tous ont été contraints de fuir les villes, leur cadre de vie habituel, pour se réfugier là où c'était encore possible. Au cours de cet exil, la narratrice, dont on ne connaîtra jamais le nom, a rencontré Marco, un homme qui deviendra son compagnon, un ami bientôt, un amant merveilleux mais occasionnel, quelqu'un en tout cas avec qui envisager de reconstruire un monde. Ils habitent, désormais, au coeur d'une forêt, assez proches d'un village pour y proposer leurs services, mais assez éloignés aussi pour ne pas s'encombrer de trop de présence humaine, préférant à leurs congénères leur chien Django. Un jour, la jeune femme, en quête de vivres dans ce bois que hantent désormais les loups, découvre Farah, une mère entourée de deux enfants qui s'agrippent à ses jambes, et portant encore un bébé dans ses bras. le premier contact est difficile, presque hostile, tant la rencontre semble menaçante. Mais Farah la suit, et très vite, la cohabitation s'organise, favorisée par l'attitude paternelle de Marco à l'égard des enfants et la danse joyeuse du chien autour d'eux…
Farah et la narratrice s'observent, se cherchent, lentement s'apprivoisent, apprennent à crier ensemble. L'une et l'autre sont habitées par leur passé, la disparition dans le déluge de leurs compagnes respectives, les traces récurrentes de deux amours fous. L'une et l'autre, aussi, sont en quête de reconstruction. Si leurs histoires divergent, elles ont toutes les deux, et il y a ici comme une mise en abyme de la fonction de la romancière dans son texte, une même passion pour l'écriture, Farah, comme chercheuse universitaire et journaliste critique, quand la narratrice, elle, cherche à garder trace des choses du monde et de leur transformation dans des carnets où elle consigne les détails de la « flore » et de la « faune » (« Flore » et « Faune » sont aussi, tiens donc, les titres des deux premières parties du roman), mais aussi dans de courts poèmes, qui cristallisent l'impression d'un moment.
Dans la forêt aussi, il y a la bête, une biche, orpheline de son faon, sans cesse pourchassée par les loups, mais qui sait que les deux « humaines » peuvent la protéger… Trois femmes, en somme, et leur désarroi face à un monde dont elles ne savent pas comment il va tourner, vers la mort ou un renouvellement de la vie ?, « tombeau ou matrice » ?, cette expression revenant dans leur esprit comme une antienne. Et ce sera peut-être finalement au lecteur de décider, avec ou sans elles, du nouveau cours des choses…
On sent bien, oui, que nous y sommes également, lecteurs, dans cette forêt, pris, comme les deux héroïnes humaines, dans une « rencontre-miroir » et la même quête de sens. Mais pris au piège aussi d'une narration captivante et aux charmes d'une écriture où traîne parfois un accent québécois, d'une langue capable de nous donner un « chat tempête », « une femme racine », « une femme pilier », des « baiser orages et ruines…, baiser ongles et morsures », d'imaginer des « bras caverne », de décrire un Marco, amant protecteur, comme faisant partie « de cette catégorie secrète des garçons cathédrales, à la structure imposante, mais à l'intérieur remplis de chants chorals »… Oh oui, comme nous aimons, nous, ce roman cathédrale et les mots caverne de ce texte! Et vous aussi, maintenant, « avant de brûler» ?
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