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Critique de bgbg


bgbg
01 septembre 2021
Il n'y a pas de vérité absolue, pas non plus de révélation foudroyante dans ce magnifique roman, fiction très élaborée, sous forme d'un récit retraçant les huit mois qui ont précédé l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, le 22 novembre 1963. Durant ces mois se forgea un complot mal ficelé, et se démasqua celui qui fut désigné coupable du meurtre, Lee Harvey Oswald.
DeLillo n'est pas un auteur simple, limpide, complaisant. Il peut être nécessaire de relire Libra pour tout comprendre. Les chapitres se succèdent, chapitres ou sections rendant compte de la vie d'Oswald alternant avec ceux relatant les intrigues nouées autour des liens entre Cuba et Fidel Castro et le gouvernement des États-Unis.
Élevé par sa mère seule, marqué par un frère plus âgé, l'enfance d'Oswald est caractérisé par de nombreux déménagements, puis, son autonomie acquise, par une errance, une instabilité qui l'orientèrent vers le marxisme et des fréquentations douteuses.
Engagé dans les Marines au Japon, il se retrouve en Union Soviétique où, soumis à de sévères interrogatoires, il livre quelques secrets militaires. À Minsk, il épouse Marina, finit par regretter les États-Unis, et y retourne, avec l'idée de se battre pour Castro, Cuba et la gauche, tout en renouant des liens avec d'anciens agents de la CIA. Oswald est un rêveur : conscient de ses limites, il se rêve néanmoins comme un acteur influent de l'Histoire. Il la façonnera de fait, mais certainement à son corps défendant.
Du côté des comploteurs, on manque de rigueur, de discipline et d'une bonne coordination : l'instigateur en chef, Everett, pense qu'un « attentat raté, présenté comme étant perpétré par des Cubains » serait un avertissement utile pour que Kennedy durcisse sa position envers l'île communiste, voire exerce des représailles. Personne n'a oublié l'échec de l'épisode de la Baie des Cochons, censé éliminer la Révolution castriste de Cuba, et tous imputent la débâcle et ses morts à Kennedy - à tort. Finalement n'est-ce pas cette défaite, la haine de Cuba et du communisme que JFK paiera de sa vie ?
Les exécuteurs du plan, un certain Mackey en tête, le trouvent trop complexe et décident, non d'épargner, mais d'éliminer la cible, JFK.
Le complot prend une forme chaotique, s'enfonce dans des circuits labyrinthiques, multiplie les instigateurs, les interlocuteurs d'Oswald, lequel semble dérouté, entre ses difficultés conjugales, son travail instable, ses troubles existentiels, son indécision chronique. Plus dérouté encore, le lecteur qui se débat pour tenter de comprendre, de démêler, de simplifier, de conclure : dira-t-il qu'Oswald, hésitant dans sa tête, agit néanmoins dans les faits comme l'exécuteur du Président ? Qu'il l'a effectivement exécuté, alors que jamais il ne fut reconnu coupable par la justice (seulement par l'opinion publique et divers rapports), car tué par Jack Ruby deux jours après son arrestation ?

La mort de Kennedy reste un mystère dont les protagonistes, nombreux, « morts », « oubliés », n'ont pas été clairement identifiés. Don DeLillo ne prétend pas détenir une vérité, ne met pas d'hypothèses sur la table. Avec beaucoup de rigueur, il dessine un arrière-fond, une toile qui se tient, et se montre subjugué par ce personnage énigmatique, inconstant et certainement manipulé d'Oswald. Personnage paradoxal car, fasciné par Cuba et le communisme, il se laisse manoeuvrer par des anticastristes radicaux, anciens de la CIA ou mafieux, pour assassiner un Président très (trop) modéré sur la question cubaine. N'a-t-il pas finalement le portrait idéal du « paumé » que l'on pourra « présenter » comme un tueur solitaire, d'autant que sa position de tireur (sur JFK) était très ostentatoire.

L'assassinat de Kennedy a donné lieu à une légende, dont les éléments étaient, ou avaient été mis, en place pour que la légende reste légende. Don DeLillo s'est inscrit dans ce schéma tout en mettant en évidence sa fragilité, le rôle du hasard, la vraisemblance du complot mal fichu, la nécessaire fonction de bouc émissaire.
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