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Critique de ZeroJanvier79


Grégoire Delacourt est un auteur que je suis de façon irrégulière. J'avais lu ses deux premiers romans « L'écrivain de la famille » et « La liste de mes envies », j'en avais gardé un bon souvenir mais sans que cela m'attache définitivement à ses livres. Je me renseignais vaguement lorsqu'il publiait un nouveau livre, que je lisais ou non selon que l'intérêt que suscitait pour moi leur résumé.

Cette fois, le thème de son nouveau roman, à paraître le 20 février prochain, m'a tout de suite interpellé, et j'ai eu la chance de pouvoir le lire en avant-première grâce à l'éditeur JC Lattès et à la plateforme de service de presse NetGalley.fr.

Loin des récits plutôt légers de cet auteur que j'avais eu l'occasion de lire jusque là, Son Père s'attaque à un sujet lourd puisqu'il promet un face à face entre un père et le prêtre qui a abusé sexuellement de son jeune fils :

" Mon Père c'est, d'une certaine manière, l'éternelle histoire du père et du fils et donc du bien et du mal. Souvenons-nous d'Abraham.

Je voulais depuis longtemps écrire le mal qu'on fait à un enfant, qui oblige le père à s'interroger sur sa propre éducation. Ainsi, lorsque Édouard découvre celui qui a violenté son fils et le retrouve, a-t-il le droit de franchir les frontières de cette justice qui fait peu de cas des enfants fracassés ? Et quand on sait que le violenteur est un prêtre et que nous sommes dans la tourmente de ces effroyables affaires, dans le silence coupable de l'Église, peut-on continuer de se taire ? Pardonner à un coupable peut-il réparer sa victime ?

Mon Père est un huis clos où s'affrontent un prêtre et un père. le premier a violé le fils du second. Un face à face qui dure presque trois jours, pendant lesquels les mensonges, les lâchetés et la violence s'affrontent. Où l'on remonte le temps d'avant, le couple des parents qui se délite, le gamin écartelé dont la solitude en fait une proie parfaite pour ces ogres-là. Où l'on assiste à l'histoire millénaire des Fils sacrifiés, qui commence avec celui d'Abraham.

Mon Père est un roman de colère. Et donc d'amour. » "

Le roman décrit principalement la rencontre pleine de tension entre le père et le Père, mais ce face à face qui constitue le coeur du récit alterne avec quelques courts chapitres qui décrivent tour à tour l'enfance de Benjamin, celle de son père Édouard, et les circonstances dans lesquelles celui-ci a appris les abus dont son fils a été victime.

La figure biblique d'Isaac, que son père aurait été prêt à sacrifier pour obéir à Dieu, est omniprésente dans le roman et dans l'esprit du narrateur. Isaac, comme son fils Benjamin, est la victime silencieuse, que la Bible « oublie » ensuite pendant de longues pages avant qu'on le retrouve plus âgé.

" Tu t'es tu, Isaac. Et l'histoire ne t'a prêté aucune parole à transmettre, des siècles et des siècles plus tard, à Benjamin, ton frère. Il ne reste rien de tes frayeurs dans la Genèse. Il n'y est fait mention d'aucune réparation à la violence qui tu as subie – il est vrai que dans la Bible on se soucie fort peu de la parole des enfants, ils n'ont que des devoirs d'obéissance et donc de silence.

Tu n'es plus qu'une ombre, Isaac, une victime muette – n'appelle-t-on d'ailleurs pas ta tragédie « le sacrifice d'Abraham » alors que c'est du tien dont il s'agissait ? "

Grégoire Delacourt nous parle de colère, de justice, de vengeance, de culpabilité, et évidemment d'amour et d'humanité. Il nous parle du père qui n'a rien vu et se le reproche. Il nous parle du Père qui doit assumer la lourde culpabilité d'avoir violé un enfant et trompé la confiance de ses parents. Il nous parle de de l'enfant qui doit accepter son innocence de victime et qui ne doit pas chercher sa propre culpabilité. Il nous parle également de religion et du rapport de chacun à la foi et à l'Eglise. le personnage de la mère du narrateur, la grand-mère du petit Benjamin, est à ce titre emblématique et intéressant. Quant au personnage du prêtre, le coupable désigné et donc le « méchant » de l'histoire, il est suffisamment complexe pour susciter à la fois la répulsion, la colère, et la pitié, voire des sentiments plus ambivalents au fur et à mesure du récit.

" Et parce que je n'ai pas protégé ceux que j'avais la charge de consoler et de chérir. Et l'Église a fermé les yeux. L'évêque de notre diocèse a fermé les yeux. le Vatican a préféré se coudre les paupières et manipuler les magistrats. Alors je me suis plu à imaginer que leur cécité était une forme d'assentiment. Car si les pères ne condamnent pas, si les pères n'interdisent pas, si les pères ne punissent pas, alors les fils conjecturent qu'ils ont tous les droits. "

Je trouve que Grégoire Délacourt s'en sort plus que bien face à un sujet aussi périlleux que celui de la pédophilie au sein de l'Eglise catholique. Il évite me semble-t-il parfaitement de tomber dans les clichés. Il dépeint très justement les sentiments des différents personnages à travers des scènes fortes et des passages très joliment écrits. J'ai toujours pensé que Grégoire Delacourt avait une jolie plume, mais je trouvais que trop souvent les récits qu'il proposait n'étaient pas à la hauteur de cette qualité d'écriture. Ici, sa plume permet de porter un récit à la fois lourd par sa thématique et aérien par son style.

" Benjamin dort. Je m'effondre dans le fauteuil près de lui. Je devine sous le drap son corps fragile et martyrisé. Je comprends enfin les douleurs au ventre, l'anisme, les cauchemars, et l'insomnie qui force à rester sur ses gardes. Et la merde de mes yeux se dissout. Je suis devenu un criminel par inattention. Une indignité de père. "

Son Père est un roman très fort que j'ai dévoré en une journée. Il aborde un sujet délicat et il m'a semblé qu'il le faisait joliment, aussi joliment que le thème le permet en tout cas, et de surcroit avec une grande justesse de ton. A mes yeux, c'est clairement, et de loin, le meilleur roman de Grégoire Delacourt.
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