Citations sur Les Déviantes (41)
Ses paupières glacées et incrédules
Se battent se noient et se brûlent
Deux papillons de givre
Aux ailes désagrégées
Créatures jumelles
Vaillantes sentinelles
Deux filles de satin
Au destin incertain
Louis avec une autre
Une absence consommée
L'espoir incinéré
La légèreté qui se vautre
Dehors la nuit qui chante
Sa sérénade morbide
Les amoureux qui se vantent
De leurs histoires insipides
Dedans le coeur qui bat
Sans trop savoir comment
Etourdi des ébats
Dont l'envie le rend dément
Bien sûr que l’audace n’a pas d’âge, de classe, de profil type, de critères de sélection.
Bien sûr qu’elle est partagée, qu’elle revêt une infinité de visages changeants, chacun rêvant de son projet intime.
Peu importe qu’elle se désagrège entre-temps, qu’elle en oublie le court passé de son existence, qu’elle y laisse même son ardeur de vivre.
Le tout est de vivre.
Le reste, on verra.
(page 65)
« Elle saura remonter la pente, si elle guérit, elle ravalera la façade, recréera une certaine illusion.
Mais ça n’aura plus rien à voir.
Ce sera un pis-aller, un compromis, une cicatrice qui restera apparente malgré trois tartinâtes de fond de teint, un aveu de faiblesse.
Elle n’aura surtout plus la force de prétendre. »
« Mademoiselle Anastasia… »
Elle adore quand Marlène l’appelle comme ça. Ca fait princesse, duchesse, lady ou même courtisane du XVIIIème siècle, peu importe, mais ça donne une épaisseur supplémentaire de sa conscience, presque une arrogance, comme une dose gratuite d’existence aux yeux d’autrui. Mademoiselle Anastasia. Désormais « responsable de ce dont elle n’était pas responsable. »
La maladie ne serait pas soustraction des possibles, mais un défi, une provocation, une épreuve à relever chaque jour. Se montrer digne de celle qu’on a été, continuer de se battre pour celle qu’on veut continuer à être, vivre sans les excuses dans lesquelles elle pouvait se réfugier lorsque le monde était infini et son organisme sain. Elle n’aurait plus que le choix de vivre.
Petite Anastasia se croyait immunisée, protégée par son intelligence à haut débit, son arrogance, sa prescience de son jeune âge et de l’itinéraire qui s’offrait à elle. Elle, elle y arriverait. Elle, elle ne se laisserait pas grignoter petit bout par petit bout par ce que les adultes autour d’elle appelaient réalisme mais qui n’a jamais été rien d’autre que du cynisme. Elle avait conscience d’être petite, à l’époque. Elle aurait voulu le rester. Ce n’était pas son corps immature qu’elle voulait préserver, au contraire, elle avait des rêves trop dévorants pour ça.
Non, l’objet de son inquiétude, c’était son petit cerveau idéaliste, son regard sucré et naïf, son avidité d’histoires à découper dans le grand imagier de ses impressions cacophoniques. Ses yeux d’enfant. Elle les fixait dans le miroir de la salle de bains, terrorisée des déformations qu’ils allaient subir alors que les années passeraient. Elle ignorait alors que les yeux sont la seule partie du corps humain qui ne grandissent jamais. Ceux d’un nourrisson font exactement la même taille que ceux d’un adulte. Croire que ses yeux allaient changer était faux d’un point de vue biologique, certes, mais pas stupide. Les yeux gardent peut-être leur déguisement d’enfance, mais ils désapprennent leurs émerveillements, leurs raccourcis et leurs fantasmes. Sous le poids des déceptions, ils se voilent de restrictions. Ils s’aliènent. Se méprennent. Se fourvoient. Et leurs hôtes avec.
Il connait son prénom, bien sûr, il est écrit sur tous ses colis et ses paquets.
Anastasia.
Un patronyme de princesse russe, d'héroïne maudite, comme si ses parents avaient voulu la pousser dès la naissance à être autre chose que l'adolescente raisonnable qu'elle s'est avérée devenir.
Au fond, il lui va bien, ce prénom.
Un peu démesuré, un peu ridicule pour quelqu'un qui n'a pas une goutte de sang slave dans les veines, mais doux, sonore, animé d'une foule d'images vibrantes et romanesques.
Elle espère que le livreur s'y est attaché autant qu'elle;
Elle n'a aucune idée du sien.
Elle aimerait bien qu'il s'appelle Romain.
Ou Nicolas.
Va savoir pourquoi.
C'est doux, c'est commun, c'est rassurant.
Elle aimerait aimer un Nicolas.
C'est le corset miniature enserré autour de ses rêves de sauvagerie et de spontanéité.
Sa bague.
C'est sa pénitence, sa marque, son signe d'asservissement, son âme vendue au diable.