Je voudrais pouvoir porter plainte, mais je suis furieuse de n'avoir d'autre recours que celui que m'impose la justice. Depuis #MeToo, les gens voient la plainte comme une fin en soi. De même que les contes de fées s'achèvent par un mariage et des tas d'enfants, les histoires de violées trouveraient leur terme avec un passage au commissariat. Ça pourrait, si seulement nous y attendait autre chose qu'un parpaing de papier et un non-lieu dans 99,9 % des cas.
Certaines générations ont engendré des révolutions, la nôtre a livré des témoignages.
Qu'ils viennent m'accuser d'avoir menti s'ils le veulent : je leur donnerai raison. Je me fous d'être crue, je veux juste être entendue. Écrire est la seule justice à laquelle j'ai accès.
Je me tais très fort, bien plus fort qu'un cri.
« J'aurais pu éviter ça », se dit-on lorsque le garçon se retire enfin, et que le vide laisse place au doute. On se le dit aussi quand on se fait arracher son téléphone ou pirater sa carte bancaire. Mais on sait alors qui est coupable, et que l'audace de sortir son portable en pleine rue ou de vouloir acheter un tee-shirt en ligne ne signifie pas que l'on mérite d'être prise pour cible. Lorsqu'on a été violée, jamais le reproche latent que l'on s'adresse à soi-même ne s'éteint, jamais la certitude plus ou moins avouée de sa propre négligence, de sa naïveté, de sa bêtise ne se dissipe. Se croire, se reconnaître à la fois violée et innocente est un combat de chaque jour, que l'on espère ne pas perdre. Je n'ai pas encore perdu le mien.
#MeToo m'effrayait un peu, mais j'avais cru comprendre qu'il suffisait de trouver un gars bien pour s'épargner ces horreurs-là.
Je voudrais que les juges se rappellent un peu, parfois, on a souvent davantage envie d'un regard que d'une sanction pénale. Il ne s'agit pas de le punir. Il s'agirait de me guérir.
Et puis est venue une nuit que j'ai aimée. Une nuit à cause de laquelle je ne serai jamais une bonne victime.
C'est bizarre de parler autant de tout ça. J'ignorais qu'on pouvait dire le viol, et non simplement le subir. Quand Victor était sur mon corps, il n'y avait plus de mots.
Il est bien plus facile de lui faire plaisir que d'en prendre avec lui.