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Critique de Enroute


Chloé Delaume prévient le lecteur : son essai est écrit par Chloé Delaume, un personnage de fiction. En l'occurence, Chloé Delaume s'interroge plus qu'elle ne conclut. Ce que l'on comprend de la part d'une "praticienne" : peut-on créer et se regarder créer ? Gide aimait à se regarder dans un miroir, mais il se regardait "entre les lignes", Chloé Delaume, si elle théorisait son art, se jugerait écrivant : quelle place laisser à la liberté si l'artiste se bride lui-même ? de ce fait, l'"essai" est plus une nouvelle création littéraire qu'une réflexion rationnelle qui vise à augmenter la somme de connaissances du sujet qu'il traite. Se justifier en créant, voilà la tonalité du texte.

Puisqu'un essai peut être écrit en y intégrant des éléments de l'intimité, pourquoi la fiction s'en passerait-elle ? A l'inverse, si la fiction peut pénétrer l'essai, pourquoi n'entrerait-elle pas dans le récit autobiographique ? Les frontières sont floues, dit-elle, et la classification refusée. La liberté de l'auteur qui choisit l'autofiction est de s'extraire de la subjectivité de l'auteur, soumis aux fictions collectives. le personnage de fiction, également narrateur de fiction, prétend prendre une place neutre, indépendante de tout lien référentiel, en quelque sorte, souveraine, et de cette souveraineté, écrire selon son "bon plaisir". Pourquoi pas.

Sauf que. Sauf qu'elle l'écrit elle-même : elle se sert de ses souvenirs pour écrire. Souvenirs de qui, sinon de Nathalie Dalain. Problème. Sauf que. Sauf qu'elle le reconnaît elle-même, le Moi, qui est une fiction collective, comme les recommandations du psychiatre et les fables familiales, entre autres, ne cesse de faire des intrusions. Difficile de le faire taire. Sauf que enfin. Sauf que Nathalie Dalain n'a pu donner les souvenirs qu'elle avait prévu de donner à Chloé Delaume par une impossibilité à se soumettre elle-même à une certaine expérience. Il ressort de tout cela que la fictivité de Chloé Delaume est donc dépendante d'un être biologique. Difficile d'être un personnage de fiction.

Mais pourquoi tenter de le devenir ? Pour gagner la liberté, pour légitimer un discours particulier que les discours collectifs diluent, pour accréditer une prise de parole. Dire le faux pour dire qu'on existe en vrai, dire le faux pour avoir le droit d'être un individu, de dire "Je", et de le dire au milieu des slogans et des paroles généralisantes, aliénantes. Dire Je pour lutter, comme un acte de résistance. Ce qui après tout, est sans doute une motivation commune à de nombreux écrivains.

Dire "Je suis un personnage de fiction" pour avoir le droit tout simplement. Se donner le droit. Je fais ce que je veux. Gagner sa liberté. le pacte de sincérité à témoigner le vrai de sa vie disparaît derrière cette motivation plus forte. L'autofiction comme un matériau littéraire, un outil. Aucune prétention à parler de soi, mais parler, se donner une parole libre. Pour dire ce que l'on veut.

Il y a peu à retirer de normatif de ce texte, mais beaucoup à comprendre d'une pratique et d'une discipline. Autofictifs ou pas, peu importe ce que sont les textes de Chloé Delaume, ils se veulent d'abord libres et littéraires. Et c'est bien son droit de choisir les chemins qu'elle veut pour y parvenir. A d'autres le travail de classifier, s'ils le souhaitent.
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