AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de litteralutte


Pauvre folle” : entre Puzzle autofictionnel et féminisme bourgeois
Certains feindront la surprise en apprenant que le dernier récit de Chloé Delaume est une autofiction. Depuis maintenant plus de 20 ans, et bien plus de livres, la prolifique autrice n'a cessé d'explorer son histoire personnelle. Pauvre folle ne fait donc pas exception, le récit constituant une « autopsy ». Autocatalyse menée sur la « tablette » de l'un des sièges du train reliant Paris à Heidelberg1. Voyage détaché de tout caractère pratique, simple aller-retour. Manière de suggérer que l'essentiel tient non pas à la destination, mais au voyage ; à savoir l'écriture et la composition du récit.

Néanmoins, cela ne nous dispense pas d'adopter un regard critique à l'égard de Pauvre folle. Comme nombre d'autofictions, le récit souffre d'une tendance au psychologisme. le manque d'ancrage social et politique ne faisant qu'aggraver cet aspect. Cependant, contrairement à certains récits médiocres, Pauvre folle ne sombre pas dans la vacuité.
Un amour de puzzle

L'une des forces indéniables de Pauvre folle réside dans sa composition et son écriture, deux éléments faisant partie intégrante du récit et de son intrigue. Cette dernière, on l'aura compris, tourne essentiellement autour de la narratrice — et par extension l'autrice. Son histoire, son passé, mais surtout ses amours, la relation qu'elle tente d'entretenir avec un certain Guillaume. Comme nous le verrons, Chloé Delaume s'empare ainsi des codes standards de la romance en vue de les réinventer, tenter du mois.
Un puzzle de soi

Oui, Pauvre folle c'est de l'autofiction ! Il est pour autant nécessaire de souligner la subtilité avec laquelle Chloé la met en oeuvre. Au fil du récit, elle ébauche un puzzle aussi scriptural que psychologique. Les 21 chapitres du récit sont autant de pièces d'un puzzle intérieur forgées à partir des souvenirs de la narratrice. Des souvenirs qui se matérialisent, littéralement, sous différentes formes : d'« à peine un centimètre de long, de large, d'épaisseur, de diamètre. Certains sont durs, ronds et compacts ; d'autres épais et gélatineux ; d'autres encore plats et métalliques…». Texture, matière, toucher, ça varie en fonction du souvenir. Formes métaphoriquement phénoménologiques du souvenir, elles constituent la matière première de l'écriture. Il s'agira donc, dans et par les mots, de les transformer en autant de pièces de puzzle à même de reconstituer son « moi » au travers de la succession d'expériences vécues.

Féminisme petit-bourgeois

Bien que Chloé Delaume ne sombre en aucun cas dans l'essentialisme ou le différentialisme. On regrettera que les figures constituées par ce puzzle mémoriel soient essentiellement psychologique, confinant parfois au psychologisme.
Prisme psycholo/gisant

Commençons par le fait que les questions relatives au genre, au patriarcat ne sont pratiquement jamais appréhendées dans leur relation à l'organisation sociale actuelle ; le capitalisme, et ce même dans sa dimension édulcorée, à savoir le néo-libéralisme. le capitalisme n'est mentionné que pour en faire un ennemi du passé3. Comme si la violence systémique et l'oppression que subissent les femmes n'avaient pas été consolidées par l'avènement du capitalisme. Détachée de ce cadre matérialiste, la lutte féministe qu'évoque l'autrice ne semble donc pas tenir compte des plus démunies. Conception paradoxale pour une autrice qui revient pourtant longuement sur la violence que constitue le travail, ayant elle-même souffert de ce monde organisé autour de la marchandise.4 Ainsi, une fois de plus, c'est bien une vision éminemment bourgeoise du féminisme qui est développée.

C'est peut-être est-là l'un des principaux écueils de l'autofiction, mais également de la manière dont Chloé Delaume tente de jouer avec les codes des romans d'amour. Deux genres qui versent, le plus souvent, dans un excès de psychologie. Voire un psychologisme qui en tient aucunement compte des enjeux sociaux et politiques. Se restreignant simplement à dépeindre les humeurs de leur personnage. Pauvre folle fourmille par ailleurs de références à la psychologie. Nombre de concepts issus de cette discipline ne se trouvant pas même questionnés. Pour ne citer que cet exemple, le DSM [Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux] fait figure de référence absolue. Nous avons exploré, avec Christophe Esnault la violence que peut constituer le DSM, à lire ici.

L'Excès de psychologie que nous pointons déborde par ailleurs du cadre personnel. Il touche toucher jusqu'à la lecture que fait la narratrice [l'autrice ?] de l'Histoire. Elle écrit : « Les enfants des premiers chocs pétroliers ne pouvaient pas tuer leurs papas, si permissifs, compréhensifs, ouverts, sympas. » Voici que l'on trouve sous la plume de Chloé Delaume une lecture oedipienne de l'Histoire. Reproduisant ici l'une des lectures les plus réactionnaires de mai 68.

Les hommes sont également appréhendés dans et par ce cadre psychologisant. Dans un chapitre, délicieusement satirique, Chloé Delaume entreprend, en 17 courts chapitres, une entomologie humoristique des différents positionnements d'hommes hétérosexuels à l'aulne de l'après #Metoo. Ainsi avons-nous affaire au, classique, « Ouin-ouin » ou le « réactionnaire en sandales » qui « voit du jansénisme dans l'oeil des militantes, leur attribuant la cause de ses dysfonctionnements érectiles », le « le morveux de la République » qui face aux réunions non mixtes « s'en va chercher le mot communautarisme, furieux que l'on résiste à son omnipotence. » Ou encore le « le purple fucker » qui « s'arrange pour que l'on voie dépasser de son sac un titre de Mona Chollet ou King Kong Théorie (…) pour séduire au milieu des banderoles ».
https://www.litthttps://www.litteralutte.com/pauvre-folle-entre-puzzle-autofictionnel-et-feminisme-bourgeois/eralutte.com/pauvre-folle-entre-puzzle-autofictionnel-et-feminisme-bourgeois/
Par-delà la démarche satirique de cette petite typologie, ce sont avant des traits psychologiques qui sont mis en oeuvre. Si, avec la sociologue Raewyn Connell, nous avons vu qu'il est nécessaire et urgent d'appréhender la domination masculine dans sa pluralité, il est tout autant décisif de ne pas faire de ces différents types de masculinités des traits de caractères. Et c'est ce que tend à opérer la démarche essentiellement psychologisante de Chloé Delaume.

La suite sur : https://www.litteralutte.com/pauvre-folle-entre-puzzle-autofictionnel-et-feminisme-bourgeois/
Lien : https://www.litteralutte.com..
Commenter  J’apprécie          00







{* *}