La transparence n'est pas la vérité. L'ombre n'est pas le mensonge. Le secret n'est pas le masque d'une réalité honteuse. C'est un laboratoire où s'élabore, peu à peu, goutte à goutte, ce que nous avons de plus vrai.
Le passé est l'intelligence du présent.
Mais le vrai déclic de mon retour aux livres-papier est survenu au moment où je me suis rendu compte que la censure avait redémarré. L'interdiction de certains films, le vandalisme de certains cinémas, la non-publication de certains livres, l'effacement de certains noms, se produisant non dans des dictatures théocratiques, mais dans nos bonnes vieilles démocraties occidentales, n'ont pas encore eu pour effet la disparition effective des objets interdits (Kubrick, Morand, Alexis Carrel), mais le message est clair : ce qui faisait partie du patrimoine collectif, fût-ce pour s'en distinguer, est à présent sous surveillance.
Je sais déjà que les livres et les films qui sont dans ma bibliothèque ont plus de chances de survivre que les objets en libre accès sur internet.
Ce qui est demandé au citoyen est précisément de ne pas être trop instruit, trop civil, trop autonome, trop maître de sa langue. Il y a désormais un extérieur radical au domaine de l'esprit : la société.
La simplicité volontaire, la dépossession heureuse font partie de ma liberté.
Il n'est pas certain que la plupart des gens sachent ce que c'est que la liberté. Un signe inquiétant est qu'ils ne reconnaissent pas un homme ou une femme libre quand ils en rencontrent. Ils les prennent pour des asociaux ou des extravagants.
La politesse a peu de chose à voir avec l'hypocrisie. Je ne méprise pas les gens à qui je mens par politesse, je n'essaie pas de les duper, ni d'éprouver à leur égard une supériorité illusoire. Je suis dans la certitude que vivre est difficile, qu'il y a une part d'héroïsme dans le simple fait de tenir, et que ce n'est pas mon rôle d'enfoncer mes congénères, qui n'ont pas d'autre avenir que la vieillesse, la déchéance et la mort.
C'est si simple de démissionner. Merveilleusement simple. Sortir du jeu. La société est organisée à tous les échelons pour se passer sans mal des individus. Il ne faut pas secouer très fort la main pour qu'elle lâche prise.
Les plaisirs d'être pauvre sont très relatifs. Le vide, le rêve, le froid, l'isolement, à pleines mains. Le présent éternel. Il faut faire la part du feu.
C'était une haute époque. Je m'en souviens avec un certain ravissement. Mais une page a été tournée. Un autre siècle déploie ses tentacules. Il a fallu trouver une autre façon d'être libre.
Faire ce choix. Trouer le temps. N'écouter que la musique de l'Eden. Le reste devrait être jeté aux oubliettes. Il n'y a pas de place dans l'existence pour autre chose que la lumière.