Je vais partir vers l’Est ; on dit que là bas, très loin, aux confins de la Sibérie glacée, vivent encore des mammouths comme ceux qui ornent les murs de notre grotte secrète.
Mais un automate ne peut ni mourir ni souffrir, car pour ça il faudrait qu’il soit vivant.
On dirait plutôt une auberge, songe Kate en jetant un oeil à l'hôtel après un bref salut au chauffeur. Mais à peine a-t-elle fait quelques pas sur le sol mouillé qu'un martèlement sourd attire son attention. Tournant la tête dans sa direction, elle n'en croit pas ses yeux. Surgi de nulle part, passe un cortège funéraire qu'ouvre une espèce de vieux corbillard tout droit sorti d'un film de vampires. Précédé d'un jeune tambour, il est tracté par un cheval à la robe luisante et foncée. Le cocher, tête rentrée dans les épaules, est entièrement vêtu de noir et coiffé d'un haut-de-forme. A leur suite, des silhouettes sombres avancent en rangs militaires, au même rythme : celui des roulements du tambour, lent et solennel. Kate en a des frissons. Drôle de comité d'accueil! se dit-elle.
Les gens habitués à la célébrité ne peuvent y renoncer. C'est toute leur vie, c'est leur respiration, quitte à se contenter de la moindre miette, alors que ce passé glorieux est loin derrière.
Violer son intimité la met mal à l’aise. Pourtant, c’est le seul moyen d’en savoir plus sur l’histoire de la famille Voralberg, et peut-être sur Hans. Anna a dû écrire ce journal il y a fort longtemps, on ne pouvait alors la soupçonner d’avoir perdu la tête. Les éléments que Kate y trouvera devraient donc être bien réels.
Aussi tourne-t-elle avec d’infinies précautions la couverture, laissant apparaître en première page une date suivie d’un paragraphe manuscrit. Le cœur de Kate fait un bond. Un rapide calcul lui indique qu’Anna Voralberg devait alors avoir quatorze ans. L’âge où les filles tiennent volontiers un journal, bien que cela se perde un peu. Mais, à l’image d’Anne Frank, dont la courte vie a bouleversé le monde entier, et de bien d’autres adolescentes tourmentées, Anna Voralberg avait éprouvé ce besoin de se confier sur des pages blanches.
Le silence et le vide des rues en cette fin d’après-midi saisissent la jeune citadine. Il existe encore, au XXIe siècle, de tels lieux. Des lieux où on oublie de sortir le soir, où on se couche avec les poules, où on se lève avec le coq. Où on peut tout faire à pied sans avoir à prendre un taxi, un bus ou le métro.
Elle est de plus en plus convaincue que cette fabrique d’automates a des secrets enfouis à lui livrer et que les gens d’ici en savent plus qu’ils ne veulent bien le dire.
Qui se ressemble s’assemble, voyez-vous. Je crois même qu’elle avait engagé une procédure d’adoption qui n’a pas abouti, l’Assistance publique craignant que ce ne soit pour le faire travailler à l’usine. Un gosse ! C’est dingue ce qu’on peut imaginer, parfois…