La phrase-seuil donne immédiatement une idée du voyage proposé par l'auteur : « A la maison tout le monde parle songhay, peul, bambara, soninké, senoufo, dogon, mandinka, tamasheq, hassanya, wolof, bwa. Mais à l'école, personne n'a le choix : il faut parler français. » Ce sont bien les langues qui sont au coeur du livre, avec le drame pour le jeune Hamet, le narrateur, de ne pas pouvoir parler dans sa langue natale, celle qui l'amuse, le distrait : « langue de nos meilleures amitiés, nos meilleurs souvenirs »
Hamet est un écolier de Bamako, plutôt turbulent et en froid avec cette langue française qu'il doit pratiquer à l'école alors qu'elle n'est pas parlée dans sa famille. Il a bien des difficultés à la comprendre et devient le souffre douleur du groupe et des enseignants, Mme Guindo et M. Diarra . Il fait l'école buissonnière pour s'adonner à ce qu'il aime : lire, jouer, manger des beignets. Cette partie est parfaitement traitée, elle débouche sur un éloignement du jeune garçon chez les grands-mères dans un village reculé où Hamet est censé apprendre le respect des traditions et l'obéissance. le voyage en bus, décrit à hauteur d'enfant, l'installation à la campagne où il observe un monde nouveau, découvrant la pêche collective de la mare, la culture aux champs – sous la surveillance de Demba, au turban bleu azur et chapeau conique –, sont autant d'épisodes charmants, drôles et poétiques.
Ce roman d'apprentissage, avec l'invention de mots et de phrases insolites, est un vrai régal. On doit deviner le sens des expressions qu'entend le jeune Hamet, mais ce n'est pas gênant dans la mesure où cela permet d'adopter la position du jeune garçon, de ressentir la frustration dont il souffre. Je dois avouer que l'absence de lexique pour les expressions en italique m'a désorienté dans un premier temps, alors que je ne trouvais pas certaines traductions sur internet. Maintenant j'ai envie de sourire et d'applaudir à l'ingénieuse perfidie de Diadé Dembélé, consistant à me mettre dans une situation analogue à celle vécue par le petit personnage du roman.
L'auteur s'est inspiré d'un séjour en 2008 au Mali. Un roman à lire pour l'originalité de traitement de thèmes forts : la langue, la liberté, l'insoumission… Et aussi ce duel des grands-mères, apparaissant tardivement, comme une scène finale signant la quête des origines.
Diadé Dembélé est né à Kodié, dans l'ouest du Mali. Diplômé du Master de création littéraire de l'université Paris VII, il travaille en tant qu'interprète au sein d'une association d'aide aux migrants.
le duel des grands-mères est son premier roman, couronné du Prix littéraire de la Vocation 2022.
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