Passé sous silence

Cette décennie avait été difficile, plus difficile que je ne l’avais imaginé, mais elle n’avait pas été faite que de moments douloureux. Il y avait eu aussi de bons moments, comme épouser Jake et découvrir que j’étais enceinte de lui. Ce devait être un autre moment heureux et je voulais en profiter. Je voulais vivre dans le présent.

Il y avait une part d’ombre en moi, remplie d’amertume et de chagrin, je ne pouvais pas le nier, mais le reste était plein d’espoir et fort, rempli de l’optimisme d’avoir un nouveau bébé et une nouvelle vie.

Quand j’étais sage, il m’emmenait dîner. Pendant les six premiers mois, je l’avais à peine remarqué. Je ne m’étais jamais souciée d’éponger un peu d’eau renversée ou de ramasser mes chaussettes de la veille, jusqu’à ce que je partage un espace de vie avec un maniaque de la propreté comme Jake. J’avais peut-être été trop dorlotée par mes parents après la mort d’Aiden.

Le temps était censé tout guérir, mais je n’y avais jamais cru. Je m’étais toujours considérée comme irrévocablement brisée après l’inondation. Mais il me semblait qu’enfin toutes les pièces s’assemblaient.
Du moins, c’était ce que je croyais.

J’étais prête pour le prochain défi à relever, surtout avec Jake qui m’attendait sur le parking. Il avait été mon roc dans les mauvais moments. Il était toujours là, la main tendue, pour me rattraper quand je tombais. Et croyez-moi, j’étais souvent tombée. J’avais sombré dans les ténèbres après la mort d’Aiden.

Elle avait toujours été un peu timide, et aurait été jolie si elle n’avait pas eu de longues dents de devant qui empêchaient sa bouche de se fermer complètement. Elle avait le comportement typique d’une bibliothécaire. Elle était calme, mal à l’aise et maladroite avec la plupart des gens, et je savais que la mort d’Aiden avait été un poids pour elle durant toutes ces années.

Je ne peux pas en vouloir aux hommes et aux femmes qui ont travaillé sans relâche pour aider les survivants. Mais en regardant tout le monde s’affairer autour de moi, en regardant le reste des enfants retrouver leurs parents et les habitants qui avaient échappé à la noyade recevoir des couvertures et des tasses de thé chaudes, je réalisai que ma vie n’était plus entre mes mains. Ce jour-là, en perdant Aiden, je perdis tout contrôle sur ma vie, et sans mon fils, je savais que je ne le récupérerais jamais.

Je voulais un enfant sauvage et courageux. C’était ce que je voulais pour lui ; je voulais qu’il devienne un homme fort avec un penchant pour l’exploration. J’avais reporté mon envie de voyager sur lui.

On ne contrôle pas les circonstances qui nous entourent. On ne contrôle pas les réactions des autres, seulement les nôtres. C’est la grande tragédie de la vie. À un moment donné, tout va parfaitement bien et le lendemain, tout s’écroule. La faute aux circonstances.

Les gens parlent tout le temps de perdre le contrôle d’eux-mêmes, que ce soit sous l’emprise de l’alcool, de drogues, sous le coup de la passion ou de la colère. Mais ils ne savent pas ce que c’est que de perdre réellement le contrôle, et je ne parle pas de mes émotions, mais de ma vie. J’ai perdu le contrôle de ma vie. Tout ce qui m’entourait s’effondrait tandis que je restais là à observer ma vie voler en éclats en spectatrice impuissante.