Peut-être que l'enfance est une île après tout, une sorte de bastion cerné par des douves dans lesquelles coule une eau, noire peut-être, mais douce et accueillante, dépourvue de danger, nourricière s'il le faut et pédagogique à ses heures. Une eau où l'on apprend à se tenir debout, parce qu'elle vous porte malgré la vase qui pourrait faire glisser, parce que, aussi, à vos côtés, sur l'eau, dans l'eau ou depuis la berge, se dressent des figures dont le rôle semble, de toute éternité, de s'y dresser : un grand-père au caractère rugueux comme la paume de ses mains, une grand-mère à la vigilance muette mais attentionnée, des chiens aux mauvaises habitudes immuables et rassurantes.
Dans son très réussi premier roman,
Debout dans l'eau,
Zoé Derleyn, jeune auteure belge à la plume extrêmement prometteuse, nous convie à une éclosion, à ce moment charnière et décisif où sa jeune narratrice de 11 ans (et demi !) quitte les certitudes l'enfance pour sentir sous ses pieds le sol instable de l'adolescence. C'est l'été où tout bascule, l'été où le doute s'immisce, l'été où meurt son grand-père. C'est l'été, pourtant, où elle semble prendre conscience pleinement de qui elle est, de la lignée dans laquelle elle s'inscrit de par ses goûts, ses préférences et ses affinités, par sa mémoire et ses attachements, bien au-delà de « ses cheveux d'ailleurs et ses joues d'ici ».
J'ai beaucoup aimé me couler auprès de cette petite fille plus si petite que ça, entre les pattes de ces chiens au sourire dévoreur, à la placidité enjouée, m'asseoir à ses côtés, sur la couverture à franges de son grand-père, pour picorer des groseilles à maquereau qui me rappelaient le mien, ou sur un banc d'église, à l'ombre de la foi vacillante mais viscérale de sa grand-mère, rassurante comme un phare dans la nuit. J'ai aimé sentir, entre les lignes sans lourdeur de cette écriture tout en retenue et en sensualité, jaillir la lumière d'un été, les parfums pleins de fraîcheur de l'eau stagnante et sombre, le son des insectes alourdis de soleil, le goût acidulé des fruits partagés entre deux silences. J'ai aimé découvrir, grâce à la curiosité d'une poignée d'aventurier(e)s des mots nommé(e) s « les 68 Premières Fois », ce talent tout neuf qui, pas si loin de nous, offre à la langue française un si bel écrin.