AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de CeCedille


Ne pas se fier au titre « Histoire d'un chien ». Même si l'on n'appartient pas au cercle des amis des animaux, même si l'on redoute les parallèles hardis ou hasardeux entre les comportements humains et ceux de "nos amis les bêtes", il faut lire ce livre. Car il s'agit de littérature, et non d'éthologie.

Niki (1948'1955) est une chienne, fox terrier, adoptée par un couple de hongrois sans enfant, puisqu'ils ont perdu le leur à la guerre. Lui, Janos Angsa, est ingénieur. Sa femme est propagandiste pour le régime. Tous deux communistes consciencieux.

Le livre est d'abord le récit de la vie exubérante de Niki, qui a su se faire adopter par le couple qui ne voulait pas s'en encombrer, et a réussi à quitter son ancien maître qui le maltraitait. Ce fox-terrier, malin et bondissant, est aussi doté d'une solide philosophie de la vie : un cynisme, version canine, qui est plutôt un épicurisme de l'instant. On est conquis par les descriptions de ses comportements fantasques, si justement croqués. Konrad Lorenz n'a pas mieux fait.

L'histoire d'un chien est une histoire d'amour. Entre l'animal et ses maitres. C'est aussi le récit de la tendre affection qui unit M. Angsa à son épouse, de l'amitié de ceux qui la soutiennent dans les épreuves. C'est l'évocation d'un quotidien difficile, où l'on doit partager son appartement, partager la pénurie, alors que d'autres propagandistes plus zélés sont payés par le régime pour vanter l'amélioration de la vie.

Car le deuxième niveau du récit est celui de la vie professionnelle de l'ingénieur, sa promotion, sa mise au rebut, brutale, son incarcération sans motif. Sa femme aussitôt perd son emploi et ses moyens de subsistance. le lecteur est alors confronté aux ravages de l'arbitraire. Et l'Histoire s'invite à pas de loup dans cette histoire, avec la description, en creux, de l'État totalitaire, qui happe le maître de Niki et lui vole sa raison d'être.

Point n'est besoin de connaitre les évènements de la Hongrie de 1956, qui sont la toile de fond du récit. Il n'est d'ailleurs fait état que furtivement (p. 67) de l'arrestation de László Rajk. Car le roman est l'apologue de la terreur totalitaire, communiste, en l'occurence, mais qui pourrait aussi bien être d'une autre sorte. Par petites touches, s'instille la terreur, la jalousie, la délation et l'absurde. le récit est de son temps - celui de la révolution hongroise de 56 -, mais aussi de tous les temps. Comme une oeuvre de Kafka, ou d'Orwell.

L'art de Tibor Déry est dans l'économie de moyens. Pas de pathos. L'émotion nait de la description attentive de la vie de ce chien, à la campagne, à la ville, dans son appartement. Avec ce flou sur la question de savoir à travers qui le lecteur voit les évènements : la chienne ? ses maîtres ? l'auteur ? Ce qui donne au récit, à chaque fois, sa couleur propre, sur le mode de la tendresse, de l'humour ou de la réflexion.

L'écrivain Dery a participé à la révolution de 1956. Il appartenait aux cercles Petofi. Emprisonné, il a appris en prison au bout de deux ans que son chien, Niki, était mort.

Comme le note justement le postfacier, Laszlo F. Földényi, Niki accède au rang des animaux célèbres, véritables personnages de romans : Bauschan, le chien de Thomas Mann, Murr, le chat de E.T.A. Hoffmann, auxquels il ne faut pas oublier d'ajouter Flush, l'épagneul cocker de la poétesse Elizabeth Barrett Browning, dont Virginia Woolf a fait le portrait, et, parmi bien d'autres encore, l'inénarrable chat innommé du lettré indolent, décrit par Natsumé Sôseki.
Lien : http://diacritiques.blogspot..
Commenter  J’apprécie          70



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}