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Critique de Lamifranz


Dans l'histoire de l'humour français, Pierre Desproges (1939-1988) tient une place à part. Ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, amis et amies babélionautes, vous dont l'esprit fin et délié est comme une deuxième nature. Desproges, c'est celui qui a dit : « On peut rire de tout mais pas forcément avec tout le monde ». Selon d'autres sources, il aurait dit : « On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui ». Et selon son copain Coluche : « On peut rire de tout mais faut faire gaffe avec qui qu'on cause ». En fait on n'est pas sûr qu'il l'ait dit, on est à peu près sûr qu'il l'ait pensé, mais on est certain qu'il ne l'a guère mis en pratique. Pierre Desproges disait ce qu'il pensait et ne se souciait guère de ce qu'allait en penser son interlocuteur. Mieux (ou pire, ça dépend de quel point de vue on se place), il prenait plaisir à glisser une petite phrase assassine destinée à choquer, c'était devenu banal à force d'habitude, et ça faisait partie du personnage.
Parce qu'on ne pourra pas parler de Desproges sans parler du personnage qu'il s'est composé : avec son vécu, et notamment son combat contre la maladie, avec sa culture, qui est impressionnante, et avec ses idées qui ne sont pas forcément aussi décapantes qu'il le laisse croire. L'humour de Desproges, c'est la conjonction de deux facteurs : la dérision et l'absurde. Et le premier degré. Si on prend certains sketches au premier degré, Desproges peut passer pour un raciste, un fasciste, un bonhomme détestable. Quand on connait le personnage, on fait la différence, on la fait aussi quand on lit les textes, après les avoir entendus.
« La minute nécessaire de M. Cyclopède » est à l'origine une émission de télévision diffusée entre 1982 et 1984 (sur FR3), qui consistait en mini sketches sur des sujets variés où dominait l'absurde, et ponctués par le désormais immortel « Etonnant, non ? » Les titres étaient à eux seuls un régal : « Apprenons à faire décoller une Alsacienne », « Apprenons à pratiquer l'interruption volontaire de vieillesse », « Apprenons à reconnaître un communiste », « Apprenons à vaincre la mort avec un marteau », « Asseyons un aveugle dans le fauteuil d'un sourd », « Commémorons n'importe quoi », « Essayons vainement de faire apparaître la Sainte Vierge », « Rentabilisons la colère de Dieu », « Voyons voir si la Sainte Vierge est malpolie », et même « Remettons à sa place le Petit Prince »…
L'humour de Desproges est donc dérisoire et absurde, mais il n'est pas négatif. On peut le rapprocher de Hara Kiri (pour la virulence), de Topor (pour la provocation gratuite), mais on ne doit pas oublier que cet humour est une forme de réaction contre l'inéluctable, une forme de désespoir. Même observation pour l'absurde ; l'absurde de Camus était philosophique et ontologique, celui de Raymond Devos était lunaire et sémantique, celui de Desproges est viscéral et réactif.
Pierre Desproges marque une phase importante dans l'humour français. Transition entre un humour classique, fortement basé sur le langage (il est un excellent prosateur) il continue la tradition satirique en la tirant vers une sorte de nihilisme moral, un déni des valeurs, bien représentatif de son époque (dans quelle mesure est-il sincère ? on ne sait pas) ... Humour noir… Sans nul doute ! Humour jaune… Sans nul doute aussi ! Etonnant, non ?



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