AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Lisières (7)

Une fois la porte refermée derrière nous, il y eut un long silence gêné, lourd de sens, puis il se mit à parler comme s’il n’avait jamais parlé à un autre être humain. De tout ; de sa mère ; de sa maladie ; de ses rêves encore debout ; de ses projets presque avortés mais qui se refusaient à mourir ; des livres qu’il avait lus ; de ceux qu’il voulait lire ; du jazz de la Nouvelle-Orléans ; de Faulkner ; de Monteverdi. Je me tus, je le regardais, je l’écoutais, avec avidité ; il me posa beaucoup de questions auxquelles je répondis en termes sibyllins, tout en ayant l’impression d’en avoir déjà trop dit, comme s’il entendait entre mes mots tout ce que je ne disais pas. Ensemble, nous regardions tomber la pluie par la minuscule fenêtre, nos visages s’effleurant ; soudain, je souris à un de ses mots d’esprit, il tourna la tête pour mieux voir mon sourire et j’en fus bouleversée, ce fut comme si une flèche empoisonnée et brûlante me transperçait le cœur. La pluie s’arrêta et nous fûmes obligés de quitter notre abri de fortune ; en remontant l’allée aucun de nous ne prononça un mot, il tenait la couverture serrée contre ses poumons jadis malades – était-ce son cœur ? – le regard perdu dans la terre mouillée.
Commenter  J’apprécie          50
Tel Le Passe-muraille de Marcel Aymé, je traversai la couverture mais au lieu de me retrouver sur le fauteuil comme je m’y attendais, j’entrai de plain-pied dans une couverture : De sang-froid. Récit véridique d’un meurtre multiple et de ses conséquences de Truman Capote, traduit de l’anglais par Raymond Girard, NRF, Gallimard, collection Du Monde entier, première édition de 1966. Merde déjà lundi ! La femme de ménage était venue et avait trouvé le livre sur le fauteuil. Avec sa manie de tout ranger – je lui ai dit mille fois de ne pas toucher aux livres – elle l’a placé machinalement dans la bibliothèque. Impossible de sortir en se faufilant entre deux livres : ils étaient trop serrés, depuis toujours, une manie. Je ne supportais pas de voir un espace entre deux livres dans ma bibliothèque, ça me chiffonnait ces béances : si la nature a horreur du vide, pourquoi pas la culture ? Les plaines à blé de Holcomb, ce n’est pas vraiment l’endroit rêvé pour passer ses vacances, cela aurait pu être pire : je n’étais ni Perry Smith, ni Eugene Hickock, mais un nabot fantasque à la drôle de diction, ce qui me permit d’arriver en vie à la dernière page, la 421.
Commenter  J’apprécie          40
Mieux qu'une citation, une des nouvelles du recueil lue par Sagine sur son blog
http://mesyeuxvosoreilles.free.fr/103-couverture-MDesroziers.html
Commenter  J’apprécie          30
Marie-Josée. Une courte vie : quelques objets. Laissés en vrac dans un petit deux pièces à deux pas de la place de la Victoire. Enfance dorée dans un milieu bourgeois, à Versailles, piano, danse, cours de dessin, s’est même crue artiste un temps avant de se découvrir d’autres ambitions. On la dit jolie, elle se sait attirante et en joue jusqu’à s’y faire prendre un soir de juin dans l’appartement d’un inconnu, quai des Chartrons, où elle était venue faire un casting pour une pub, soi-disant. Elle n’eut pas le temps de boire sa coupe de champagne qu’elle sentit le froid de la lame s’enfonçant dans la chair, la chaleur de son sang quitter son corps. Et sa vie finit comme ça : un soir, les quais, la Garonne qui l’emporta dans ses flots boueux.
Commenter  J’apprécie          20
Raïmi avala un œuf dur en deux bouchées, puis se rinça le gosier avec le fond de son verre. Les quelques hommes qui restaient encore sur les banquettes en peluche violette du bistrot – retardant le moment de rentrer chez eux et d’y retrouver femmes et enfants s’étaient agglutinés autour de nous, écoutant son récit dans un état presque second. Dans mon esprit leurs visages se confondaient avec ceux des clandestins ; ils avaient ce regard d’une extrême fixité des gens prêts à tout, des fous et des morts. Assise derrière son bar, la serveuse aux yeux cernés attendait, elle aussi, la suite.

— Continue ! Qu’est-ce qui s’est passé ?
Commenter  J’apprécie          20
Petit à petit, les gens se sont lassés, ils ont trouvé une autre plage avec moins de vent, plus de place pour étaler les serviettes, des tables en bois pour les pique-niques, des tourniquets et des toboggans pour les enfants. La plage est redevenue quasi déserte, mais elle n’a plus cet aspect sauvage de mes premières vacances. Elle a l’air d’un vieux parc d’attractions désaffecté, une femme d’âge mûr que son mari... C’est drôle cette envie de pleurer qui me vient tout le temps depuis cette terrasse, pourtant il n’y a pas de vent. On dirait qu’il va pleuvoir, tant mieux : rien de tel qu’une bonne averse pour fertiliser les sols, purifier les âmes, assainir les cœurs. Je me souviens d’un temps où j’avais peur de ce vide immense qui prend aux tripes et ne vous lâche pas avant plusieurs heures, parfois plusieurs jours. Aujourd’hui, je ne le crains plus, je le recherche même parfois. Oui, certaines choses ont changé et il me faudrait faire un tri dans mes souvenirs. De toute façon, j’ai si peu de bons souvenirs qu’ils rentreraient tous facilement dans ma vieille boîte à bijoux. Qu’est-ce que j’ai bien pu en faire de cette boîte à bijoux ? Pendant des années, elle est restée dans le premier tiroir de ma commode, d’abord comme un de ces objets précieux qu’on veut garder à tout prix, puis comme une chose un peu embarrassante qu’on se sent coupable de garder mais qu’on ne peut pas jeter si facilement. Comment aurais-je pu m’en débarrasser ? À moins que maman…
Un jeune garçon d’une dizaine d’années assis en tailleur sur le ciment de la terrasse, adossé à la baie vitrée, sursaute quand la femme de l’autre côté de la vitre frappe trois coups secs. Il se lève, fait quelques pas et s’assoit de la même manière contre la balustrade, le regard tourné vers la mer.
Commenter  J’apprécie          10
il y a les souvenirs sans photo pour les matérialiser, les authentifier : toutes ces pies sur le cerisier de mes grands-parents le premier jour de l’été 1962 ; ce truc bizarre que j’ai vu dans le ciel avec mon frère, en rentrant du cinéma, un soir d’hiver en 1971 ; ces paysages magnifiques du Vercors, qui m’ont éblouie à une période où plus grand-chose ne le pouvait ; et tous ces regards croisés par hasard qui m’ont bouleversée, les géographies intimes des corps – un grain de beauté derrière l’oreille, une cicatrice au poignet droit, la forme d’un nombril. Heureusement, tous ces moments de bonheur fugaces, peut-être les meilleurs souvenirs finalement, sont absents des photos et des négatifs, reproductibles à l’infini sur du papier mat ou brillant. Je veux les garder pour moi, je n’ai pas envie qu’ils se retrouvent dans les tiroirs de Chloé, dans l’album familial, ou dans ma jolie boîte en tissu au milieu des autres qui jaunissent cruellement
Commenter  J’apprécie          00


    Acheter ce livre sur
    Fnac
    Amazon
    Decitre
    Cultura
    Rakuten


    Lecteurs (14) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

    Françoise Sagan : "Le miroir ***"

    brisé
    fendu
    égaré
    perdu

    20 questions
    3673 lecteurs ont répondu
    Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

    {* *}