Blanche n'avait pas souhaité s'attarder davantage devant la tombe du père d'Anaïs. Contrairement à ce qu'elle avait cru, un message codé leur avait bien été délivré et elle l'avait reçu en plein coeur.
_On met le feu à une maison que vous venez de nettoyer, on enlève votre mentor, un homme meurt dans votre salon avec une note de votre part et un portable dont la carte SIM vous incrimine. Je ne sais pas comment on appelle ça de nos jours mais pour moi ça ressemble fortement à un contrat!
Les règles qu'il avait transmises à Blanche n'avaient cependant pas toujours été siennes. Les éléments à charge qu'il récupérait les premières années n'étaient pas pour se constituer son assurance-vie mais plutôt celle de son employeur.
Une fois dans la chambre d'amis, elle n'aurait plus qu'à attendre qu'Adrian vienne la sauver. Cette partie était de loin celle qu'elle avait le plus de mal à concevoir. Adrian avait 76 ans, de l'arthrite plein les doigts et une vessie qui lui offrait à peine quatre heures d'autonomie. Il n'y avait qu'au cinéma que les retraités pouvaient encore jouer les héros.
- C'est bon, détends-toi ! Pas de bagatelle entre nous, et pas d'humour non plus.
Blanche ne s'étonnait plus de la stupidité de ses clients. Plus leur place dans la société était élevée, moins ils se protégeaient. La vanité semblait obstruer tout bon sens.
Il ne souriait pas mais son visage n'affichait aucune contrariété. Elle savait qu'il avait tiré quelques bouffées de son joint avant de s'atteler à la tâche. Elle-même avait avalé deux cachets. A chacun son remède.
- Tu dois me trouver parano ?
- Tu sais ce qu'on dit : 'Même les paranos ont des ennemis !'
- Je sais que tout ça peut paraître étrange...
- Etrange ? s'étrangla Cédric. Tu me laisses dans un no man's land à trois heures du matin parce que tu as besoin de te reposer et je te retrouve sept heures plus tard avec un cadavre dans ton salon ! Honnêtement, je trouve qu'étrange est un peu en dessous de la réalité.
Né en Italie quelques mois avant la fin de la guerre, il avait à peine six ans quand il s'était retrouvé en France à devoir dormir dans la même pièce que ses parents et ses quatre frères et soeurs. Il n'avait jamais compris ce choix. Là-bas, en Lombardie, ils n'étaient peut-être pas riches mais ils étaient chez eux. Les terrils du nord de la France ne pourraient jamais remplacer leurs collines, pourtant ce n'était pas cela qui le blessait. Sa mère avait perdu le sourire. Ce sourire qui avait toujours illuminé leur quotidien. Elle demandait à Adriano de parler à voix basse lorsqu'il s'exprimait en italien, lui reprochait de ne pas assez s'intégrer. Lui qui avait toujours été sa fierté avait l'impression désormais de l'embarrasser. Pour toutes ces raisons et tant d'autres, Adriano avait grandi avec le sentiment de n'être plus à sa place nulle part.
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