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Critique de hcdahlem


Kaléidoscope polynésien

Patrick Deville poursuit son tour du monde en nous livrant avec Fenua un portrait kaléidoscopique de la Polynésie. Comme toujours le panorama est riche, l'érudition époustouflante. Larguez les amarres!

Nous avions quitté Patrick Deville en 2019 avec Amazonia qui retraçait son voyage sur le grand fleuve latino-américain en compagnie de son fils et qui formait le septième volume de son grand projet littéraire baptisé «Abracadabra». Il nous revient aujourd'hui du côté de la Polynésie avec son huitième volume. le romancier s'est cette fois installé dans une cabane non loin de Papeete, d'où il explore le Fenua (le terme qui désigne "le pays" pour les Polynésiens) et qui rassemble ce chapelet d'îles. Mais comme à son habitude, les choses vues viennent en complément des témoignages recueillis et de ses lectures – de celles de son enfance et son adolescence à celles d'aujourd'hui – et comme à chaque fois, on a l'impression que rien ne lui échappe.
Le chapitre d'ouverture nous décrit le premier cliché de Tahiti pris le 15 août 1860 par Gustave Viaud, médecin de marine, qui avait emprunté le même trajet que Bougainville et dont le journal livre de précieuses informations sur ce petit coin de terre au bout du monde.
Il raconte sa découverte de l'île et son voyage retour avec Ahutoru, un autochtone. Cook fera la même démarche avec un dénommé Omaï. «Ces deux-là furent aussi les hommes du premier contact, Ahutoru présenté au roi Louis XV et Omaï au roi George II. Ils surent se plier aux usages de cour, furent admirés l'un et l'autre pour leur parfaite maitrise des cérémonials, leur goût du protocole, devant ces nobles emperruqués et poudrés, accoutrés de fraises et jabots, retrouvant avec aisance l'habitude des rituels et la hiérarchie complexe de leur propre société, la révérence aux grands prêtres, leurs cérémonies sur le marae de remise des plumes rouges aux chefs, les ari'i, la confection des parures et de la ceinture royale du maro'ura symbole du pouvoir.»
Deux hommes qui symbolisent aussi la rivalité entre la France et l'Angleterre dans la course aux découvertes et à l'agrandissement de leurs empires respectifs. Ainsi Bougainville n'arrivera-t-il à Tahiti qu'en second, mais finira par emporter le morceau avec l'ambition de faire de Tahiti «un laboratoire philosophique». Car ce petit monde qui vit en autarcie intéresse botanistes, astronomes, dessinateurs, peintres, cartographes et géologues.
Patrick Deville ne va oublier aucune de ces disciplines, nous offrant le bel herbier des plantes du Pacifique sud, les observations des scientifiques avant de se concentrer sur les arts. La littérature, depuis le journal de bord du capitaine «qu'il peaufine ensuite pour faire oeuvre littéraire. Ces récits seront lus par les penseurs de l'état de nature.» en passant par Jack London, Hermann Melville, Somerset Maugham et Robert Louis Stevenson jusqu'aux Français Pierre Loti, Victor Segalen ou encore Alain Gerbault. Mais c'est bien davantage autour des beaux-arts et plus particulièrement de Gauguin que le romancier a choisi de consacrer une grande partie de son livre. On le suit jour par jour et on partage avec lui ses tourments, mais aussi ses moments de bonheur avec sa nouvelle compagne: «Chaque jour au petit lever du soleil la lumière était radieuse dans mon logis. L'or du visage de Tehamana inondait tout l'alentour et tous deux dans un ruisseau voisin nous allions naturellement, simplement, comme au Paradis, nous rafraîchir.» L'artiste est inspiré et peint ses magnifiques toiles. «Il cherche à coups de brosse les grands aplats et l'affrontement des couleurs, un paréo bleu et un drap jaune de chrome devant un fond violet pourpre semé de fleurs étincelantes. Et lorsqu'il pose les pinceaux, il écrit Cahier pour Aline, sa fille». En fait, il fait sienne la phrase de Segalen: «Je puis dire n'avoir rien vu du pays et de ses Maoris avant d'avoir parcouru et presque vécu les croquis de Gauguin.»
Après nous avoir régalé avec les écrivains et les peintres, voici les cinéastes qui débarquent. du rêve un peu fou et sacrilège de Murnau qui réalise là son dernier film, Tabou, au mégalomane Marlon Brando qui emploie deux mille Polynésiens et va jusqu'à acheter l'atoll de Tetiaroa.
Une exploration qui va se terminer par un panorama économico-politique. Car Patrick Deville ne peut oublier les manoeuvres des colons et des néo-colons qui en 1963 créent le CEP, le Centre d'Expérimentation du Pacifique, et vont polluer durablement le site avec les essais nucléaires. L'occasion de replacer, quelques semaines après la visite d'Emmanuel Macron, cette poussière d'étoiles au coeur de l'actualité.


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