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Critique de oblo


oblo
28 décembre 2018
John Blacksad est un détective privé. Qu'il s'agisse d'affaires de meurtres ou de personnes disparues, il met la même implication et n'hésite pas à se mettre en danger. Autre détail le concernant : John Blacksad est un chat. S'il se vêt comme un homme, et qu'il parle comme tel, son physique et ses caractéristiques psychologiques le trahissent : c'est bien un chat. Un chat noir, qui apporte le malheur à ceux qui le répandent, un chat libre et indépendant, un chat charmeur aussi que les femmes apprécient. Pour autant, ce n'est pas un surhomme, si l'on peut s'exprimer ainsi : la vengeance et la colère l'habitent parfois, et le vainquent à de rares moments, qui sont tragiques alors, et qui révèlent que, même chez les chats, le démon prend parfois le dessus.

Blacksad est l'une des bandes-dessinées marquantes des années 2000 (le dernier tome est sorti en 2013). On ne s'en étonnera pas. Si l'anthropomorphisme des personnages qui la peuplent est sa caractéristique la plus visuellement marquante, cette bande-dessinée a aussi le don de jouer avec les codes du roman noir et du polar, tout en plongeant dans l'histoire des Etats-Unis des années 1950 et 1960, à un moment où le pays, au sortir de la Seconde guerre mondiale, connaît aussi bien un boom culturel sans précédent que de graves remises en causes tant idéologiques que sociales. Il est vrai aussi que le dessin de Juanjo Guarnido est épatant : par sa précision, par ses couleurs (le carnaval dans L'enfer, le silence), par la rythmique induite par la disposition des cases (Quelque part entre les ombres), Blacksad est aussi une oeuvre presque cinématographique dont il faut se méfier de tourner les pages trop vite.

L'anthropomorphisme est une trouvaille simple qui se révèle d'une utilité narrative redoutable. Car les animaux véhiculent des représentations dont nous, lecteurs, habillons les personnages qu'ils représentent. Ainsi Ivo Statoc, le crapaud, reptile au sang froid, est parfait dans le rôle du self-made-man sans sentiments (Quelque part entre les ombres). Weekly, la fouine journaliste, a le don de se faufiler n'importe où pour dégotter tous les renseignements. La liste est longue : l'ours polaire Karup en chef de la police respectable et pourtant fragile (Arctic-Nation), le sénateur Gallo en coq (Âme rouge), le détective Ted Leeman en hippopotame brutal et suant (L'Enfer, le silence) ou encore l'avocat-hyène Neal, travaillant sur des affaires louches mais sacré rieur (Amarillo). S'il révèle le caractère profond des personnages sans que, littérairement, Juan Diaz Canales n'ait rien à faire, l'anthropomorphisme démontre aussi l'absurdité des conflits raciaux (Artic-Nation et L'Enfer, le silence) ou de la xénophobie (Quelque part entre les ombres, Âme rouge) puisque tous, animaux, sont de races et de couleurs différentes, et pourtant vivent en société et savent s'aimer.

Si, visuellement, la bande-dessinée nous plonge dans l'Amérique des années 1950 et 1960, ce sont bien les codes du polar de la même époque que reprend Juan Diaz Canales. Sur fond de jazz, on visite tour à tour New York (Quelque part entre les ombres), sa banlieue (Arctic-Nation), la Nouvelle-Orléans (L'Enfer, le silence) et le centre des Etats-Unis (Amarillo). le meurtre ou l'enlèvement sont un prétexte pour explorer l'histoire américaine : histoire littéraire (en reprenant les codes du roman noir dans Quelque part entre les ombres), histoire culturelle, politique, sociale : du maccarthysme au racisme en passant par la génération beat, c'est tout un pan de l'histoire américaine qui est parcouru par un chat qui ne manque pas de chien. Les codes du polar sont tellement bien repris qu'on a même le droit, hélas, à ce moment narrativement délicat, où l'intrigue doit être résumée pour être comprise. Mais gageons que c'est là le fruit de la contrainte formelle de la bande-dessinée. On ne boudera pas, c'est certain, de voir apparaître, au fil des pages, le flic épris de justice (Smirnov), les tueurs à gages, les hommes de main ou les hommes de gang, tous patibulaires, les politiques fous ou corrompus, les fils jaloux et tous ceux qui, sous des dehors bienveillants, cachent bien leur jeu.

Cette intégrale permet d'apprécier dans sa richesse et sa complexité l'univers imaginé par Diaz Canales et Guarnido. le dossier documentaire, à la fin de l'album, présente des histoires inédites et des croquis. Histoire de penser que, une fois Amarillo terminé, John Blacksad nous suit encore.
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