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Critique de Isidoreinthedark


Publié en 1964 sous le titre original « The three stigmata of Palmer Eldritch », « Le dieu venu du Centaure » est un roman étrange et attachant, où le lecteur se perd parfois dans les méandres des esprits torturés de ses protagonistes. le titre original, qui fait explicitement référence aux stigmates du Christ, éclaire ce roman très sombre d'une lueur eschatologique : l'insaisissable Palmer Eldritch devient en effet une figure christique qui porte les stigmates de son sacrifice pour une humanité au bord de l'abîme.

Car la question centrale du roman est bien celle que pose la quatrième de couverture : qui est Palmer Eldritch ? Parti dix ans plus tôt découvrir les richesses de Proxima du Centaure, il est enfin de retour dans notre système solaire, après avoir côtoyé les proxiens, une civilisation extra-terrestre plus évoluée que la nôtre. Outre une dentition en métal imbriquée dans sa mâchoire, Eldritch dispose d'yeux artificiels et d'une main articulée en métal. Tels sont les trois stigmates portés par le mystérieux aventurier. Depuis son retour sur terre, Palmer se fait discret. On dit qu'il se fait soigner des séquelles de son voyage dans un hôpital, il se murmure même qu'il serait mort.

Le héros du roman, Barney Mayerson est un pré-cog, c'est-à-dire un humain capable d'entrevoir le futur, ou plus exactement plusieurs futurs possibles. Il occupe un poste important auprès de Leo Bulero, un magnat qui doit sa fortune à la distribution du D-Liss, une drogue destinée aux colons ayant quitté la terre. La température est devenue tellement élevée sur la planète bleue qu'il est impossible d'y survivre sans une climatisation constante. Les Nations Unies, le gouvernement mondial qui préside à la destinée des Terriens, convoque ainsi régulièrement des habitants pour les envoyer sur Mars ou dans une contrée encore plus lointaine, afin de la coloniser et de limiter le nombre d'habitants d'une terre au bord de l'ébullition. le D-Liss a été conçu à l'attention de ces colons en leur permettant de rêver, le temps d'un trip aphrodisiaque, qu'ils sont de retour sur leur planète de naissance.

Leo Bulero, qui a bénéficié d'un traitement destiné à augmenter ses facultés cognitives en Allemagne, est inquiet. Il craint que Palmer Eldritch ne lance le K-Priss, une drogue qui pourrait remplacer le D-Liss et lui assurer le monopole du marché des colons. Bulero est inquiet, car il se dit que le K-Priss est nettement plus puissant que le D-Liss et offrirait aux exilés une expérience nettement plus réaliste. Une expérience effrayante aussi, qui évoque une forme dévoyée d'eucharistie, où Palmer Eldritch s'incarne dans le trip du pauvre colon tentant d'échapper à sa triste condition.

Malgré les intuitions géniales de son auteur, « Le dieu venu du Centaure » est un roman très daté. Une obsession constante pour ce qui se dissimule sous le décolleté de ces dames ainsi que la remarque « lesbophobe » que laisse échapper Mayerson excédé par la prétendue fille d'Eldritch nous rappellent que nul « sensitivity reader » n'a relu le manuscrit de K. Dick. La référence aux stigmates du Christ du titre, l'analogie dérangeante entre la prise de K-Priss et l'eucharistie, ainsi que l'évocation du corps glorieux formalisé par saint Paul, éclairant la possibilité d'une vie où chacun serait dépouillé de son enveloppe charnelle témoignent de l'imprégnation chrétienne de l'auteur, qui s'autorise une relecture toute personnelle du Nouveau Testament.

Daté. Prophétique. Tel est le paradoxe de ce « dieu venu du Centaure ». En imaginant une terre où la température est devenue invivable, l'auteur s'immisce dans notre cauchemar très actuel de la possibilité d'un réchauffement climatique mortifère. En confiant aux Nations Unies la régulation de la planète, il préfigure l'émergence d'un gouvernement mondial que certains appellent de leurs voeux. K. Dick place enfin au coeur de son roman le développement exponentiel de drogues de synthèse, telles que le D-Liss ou le K-Priss, permettant aux colons d'échapper, le temps d'un trip d'un réalisme saisissant, à une réalité désolante. Une prophétie troublante, à l'heure où nos « humeurs » sont régulées par la prise d'anxiolytiques, d'antidépresseurs ou par la consommation de divers « produits ». Les deux personnages clé du roman, Eldritch et Bulero, évoquent enfin, chacun à leur manière, la figure d'Ellon Musk, l'homme qui veut conquérir l'espace et augmenter ses capacités cognitives à l'aide d'implants cérébraux. Des implants aussi terrifiants que l'opération pratiquée par un médecin allemand tout droit sorti du troisième Reich pour permettre à Bulero d'augmenter son intelligence.

Philip K. Dick nous emporte une nouvelle fois dans un univers qui ne cesse de s'assombrir au fur et à mesure que son intrigue progresse. L'auteur prend un malin plaisir à perdre son lecteur dans le dédale paranoïaque des inquiétudes de ses protagoniste, dans ce roman évoquant un labyrinthe hypnotique en forme de jeu de miroirs borgésien.

Si vous souhaitez savoir qui est Palmer Eldritch, lisez « Le dieu venu du Centaure », vous y trouverez peut-être la réponse...

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