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Critique de ATOS


« Pour savoir, il faut s'imaginer », « révoquez l'inimaginable ! », nous déclare Georges Didi-Huberman (G.D.H).
Dépassez l'imaginable et vous aurez une réalité assez forte pour troubler le coeur et l'esprit, nous enseigne Gaston Bachelard. Mais il nous a également appris que l'imagination est un devenir. Se pourrait il que l'image recèle bien plus que ce que nous y voyons ?

Barthes déclarait dans le « système de la mode » : l'image suscite une fascination, la parole une appropriation. L'image est pleine, c'est un système saturé. La parole est fragmentaire, c'est un système disponible. » faisant ainsi de l'image un langage fermé. Comme si, d'après lui, toute l'image était l'Image.
Comme si elle était le cadre définitif de la vérité de ce qu'elle se voudrait donner, cintrée dans son unique représentativité.

Ce que Georges Didi-Huberman nous propose dans son ouvrage « Images malgré tout » c'est de reconquérir notre liberté de penser, notre droit à composer, recomposer, monter, démonter, les images, quelque soit l'image.

L'image nous montre, mais elle nous laisse surtout deviner, supposer, elle nous fait entendre, et nous laissera « à penser » si nous nous permettons à nouveau de la lire et la relire pour la bien comprendre, et la plus justement replacer.
« Images malgré tout », nous propose de reprendre la parole, le langage qui nous fut ôté après le traumatisme génocidaire de la seconde guerre mondiale.

Il faut comprendre ce que ce crime, ces crimes, contre notre commune humanité a pu générer comme censure dans nos esprits, esprits mis sans parole devant l'inexprimable.

Il en résulta une totale impuissance face à ce qui jusqu'à lors ne se concevait pas. Faire face à la capacité de certains de nos semblables nous rendit incapables d'utiliser notre ancien langage.
Mutisme traumatique.
Regarder les images de cet inimaginable c'était en quelque sorte entrer en sa propre lecture, pourtant seul chemin possible pour atteindre la lecture de notre monde.
Dans ce monde, où l'on se voit saturé d'images, bombardés de visuels, on réalise à la lecture de cet ouvrage à quel point cette image justement est si peu réfléchie, si peu pensée par nous.
L'image montre ce que nous en voyons.  Soit.
Mais l'image se situe. Elle se place. Elle s'inscrit dans la marche de notre temps commun, dans les gestes de l'Homme.
Quand, comment, pourquoi, par qui, où, l'image est elle prise ?
D'ailleurs prend- on une image ? Ou crée t on une image ?
Détournons nous une image en tentant de l'expliquer ou justement en refusant de la placer dans son contexte temporel, dans la rythmique du pas de l 'homme ?

Montrer, c'est dire. Doit on tout dire ? Peut on encore dire ? Au delà de l'image que risquerions nous de découvrir ?
Qui doit s'autoriser à dire, à opérer lecture de l'image ?
L'annonciation d'une image peut elle être niée ? Voilée ?
Qui parlera ? Qui osera écouter ?

Savoir c'est s'imaginer.. Peut on savoir sans comprendre ?
Évidement : non.
S'imaginer ce n'est pas s'inventer, c'est concevoir toute possibilité.

G.D.H revendique, malgré tout, notre droit de recherche.
Rien n'est indicible, rien n'est impensable, rien n'est devenu impossible.
C'est l'incroyable et épouvantable héritage qui nous a aura légué ce 20e siècle.
Le meilleur, souvent, et le pire, surtout. Capables du meilleur comme du pire...

Et cette prise de conscience n'est pas un acte d'assimilation. C'est un acte de lucidité. Dire que mon semblable peut devenir inhumain, ce n'est pas me déclarer semblant à lui. C'est comprendre notre nature et trouver les moyens de remédier à notre possible dégénérescence.
L'homme est faillible, c'est une idée qui peut générer de violentes critiques, dans un monde où les hommes se croient fait à l'image des dieux... Mais l'homme se doit d'être perfectible, et cet élan le sauvera des dieux.

C'est ce que G.D.H nous propose de faire : ouvrir les yeux, voir justement ce que l'image ne montre pas.
Ce vide, ce manque, qui n'est que la représentation de notre manquement à notre humanité.
Il nous faudra nous autoriser à énoncer pour pouvoir annoncer.
Il nous faudra combler ce vide pour reprendre parole.
De l'Atlas d'Abby Warburg jusqu'à « l'histoire(s) du cinéma » de JL Gogard, les images ne sont pas toutes, c'est vrai, mais elles sont très certainement toutes déjà là, toutes reliées les unes aux autres.
Et c'est à nous que revient la tâche d'opérer cette relecture.
Opérer le montage des images que nous générons, ainsi nous sera t il possible de décrypter le scénario de notre histoire commune.
Dyptique constant,... histoire sans fin peut être...
Mais si nous voulons comprendre ce qui s'est produit, et éviter que cela ne se reproduise , il faut faire face à la Gorgone et pour cela utiliser le bouclier de toutes nos images pour pouvoir terrasser cet être redoutable.
« Images malgré tout » nous interroge au sujet de ce que nous ne cessons pas de produire et reproduire, inlassablement : l'image, nos images, Notre Image.
Se poster devant le miroir est exercice difficile.
Trouble, effroi, fascination, désertion, mutisme, rejet, mille sentiments viendront battre notre esprit.
Mais pour faire face à la réalité, il faut prendre l'image, la saisir, la regarder, la comprendre dans sa totalité : son plein, son vide, sa présence, son absence, son silence, ses ombres et ses cris.
Ce qu'elle éclaire, ce qu'elle tait, ce qu'elle tord ce qu'elle prolonge.

L'image n'est pas toute, mais toutes les images peuvent mener à l'Image.

Refuser ce montage, cette relecture c'est condamner l'humanité à ne jamais trouver ou retrouver son histoire, sa mémoire collective.

La composition des images provoque un langage.
Ce langage nous le perdons dès que nous nous ôtons le droit à composer, à recomposer le puzzle de notre mémoire.
L'ensemble doit donner signification.
La signification ne sera jamais justification.
Signification donnera compréhension.
Compréhension donnera possible jugement.
Ne vouloir donner aucune signification, c'est ne rien vouloir comprendre, errer dans la déraison.
C'est comme si le crime avait été une torsion, un « improbable », un irréel de l'histoire. C'est en faire un impossible.
Refusez de sonder l'insoutenable c'est oublier, c'est tous nous oublier.

Perdre la mémoire du mal c'est répondre à l'attente des bourreaux, vider l'humain de sa substance, le déshumaniser, le priver de tout ce qui fait de l'homme un humain : sa faculté de se connaître, de se reconnaître en l'autre, d'élaborer sa pensée en l'étayant avec sa mémoire.

Prononcer n'est pas tout dire.
De nos jours, on prononce des sons et des images comme des sentences.
On ne relie rien.
La déstructuration voudrait être partie gagnante.
Lorsque que la déstructuration se met en place, toute intention devient illisible.

Il n'y a pas d'acte gratuit. Chaque geste, chaque son, chaque image, chaque mouvement, chaque forme, chaque couleur doit être considéré comme le chaînon manquant à notre lecture commune.

Et c'est ce que revendique G.D.H : le droit à la lisibilité pleine et libre de notre « Phrase » commune.

L' intelligence, de notre bien mais aussi de notre mal, réside dans l'assemblage, le montages des images que nous délivrons.
Délivrer des images, c'est nous rendre liberté.
Malgré tout, il convient de nous repenser.
Pointer notre regard, c'est porter parole.
Lire l'image c'est délivrer le message.
Pas de vérité unique, pas de pensée unique, pas d'image unique, pas de parole unique. le mono-manie est un leurre de l'esprit.
L'assemblage de nos singularités génère l'intelligence de notre Ensemble.

Nous ne pouvons pas nous fondre, nous dissoudre dans l'unité, nous ne pouvons pas survivre dans l'arrêt sur images.
Aucune vérité ne sera révélée par l'image, mais elle peut être connue par tous dans le reflet de ce que nous voyons.

Le dyptique réalisé par notre complémentarité, s'exprimant dans nos contradictions, maintient la cohérence de notre langage.
Sans langage : aucun discours possible.
Sans discours aucune pensée ne peut être élaborée, discutée, réfutée, et donc ne pourra jamais être validée.

« Pour savoir, il faut s'imaginer », alors, malgré tout, regardez et vous comprendrez mieux.

«  SAPARE AUDE ! » (Horace – Epitres I, 2, 40) .

« Il faut deviner le peintre pour comprendre l'image » -F Nietzsche.

«  La vision est la palpation par le regard »  Merleau Ponty

Astrid SHRIQUI GARAIN
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