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Critique de de


Je ne vais pas à proprement faire une note de lecture de ce livre. Certains angles d'analyse choisis par l'auteur ne me sont pas familiers, certaines ressources mobilisées, hors de mes compétences.

Mon regard sur le travail est à la « croisée » de la critique de l'économie politique (en référence aux analyses de Karl Marx), des analyses de la division sexuelle du travail (en référence à des féministes matérialistes et/ou « luttes de classe »), de la pratique syndicale et accessoirement de celle d'« expert » auprès des comités d'entreprise.

Je choisis donc de n'aborder que certains thèmes développés ou contournés par l'auteur. de réfléchir, comme à haute voix, sur des domaines un peu hors du propos du livre. Je laisse volontairement de coté les analyses de Claude Didry sur la mondialisation et la financiarisation et leurs effets dans les entreprises, sur la naturalisation de l'idée de marché, j'en partage les grandes lignes.

Le travail, le chômage. Je regrette l'abandon de la notion d'armée de réserve qui me semble permettre de mieux appréhender, dans leurs mouvements, celles et ceux qui n'ont pas de travail salarié. Travail salarié et non « simplement » travail. Car, dans le mode de production capitaliste (pour en rester à celui-ci), je ne vois pas comment aborder le travail, sans prendre en compte la division sexuelle du travail, sans prendre en compte « qu'une énorme masse de travail, le travail domestique, est effectuée gratuitement par les femmes, que ce travail est invisible, qu'il est réalisé non pas pour soi mais pour d'autres et toujours au nom de la nature, de l'amour ou du devoir naturel » (Danielle Kergoat : Se battre disent-elles…)… Sur ce sujet, l'auteur est totalement silencieux . Et pourtant le Code du travail ne peut être analysé hors de sa construction genrée…

« C'est autour de cette révolution du contrat de travail que ce livre a été construit, avec l'ambition d'éclairer la situation actuelle par une histoire du salariat différente de cette histoire classique que le réformisme libéral des années 1990 a mise au goût du jour »

J'ai particulièrement été intéressé par les premiers chapitres, partant de la Révolution française sur le « louage d'ouvrage », les procédures prud'homales, le monde ouvrier, le droit du commerce, les canuts et leurs révoltes, les compagnons et la hiérarchie maître-compagnon, la critique du marchandage, l'activité à domicile, l'association et la coopération, la sous-traitance en cascade, le louage de travail, 1848 (Pour une perpective historique et politique, sur certains points ici abordés, voir par exemple, le dernier ouvrage de Michèle Riot-Sarcey : le procès de la liberté. Une histoire souterraine du XIXe siècle en France ).
Réalité ouvrière, rupture introduite par le contrat de travail, processus de constitution du salariat, « En ce sens, le contrat de travail est moins le prodrome d'une rationalisation du travail que le produit d'une rationalisation juridique permettant de rapporter à un même contrat les liens de l'ensemble du personnel, qu'il soit ouvrier, chef d'équipe, employé, technicien ou ingénieur, à un même employeur ». Il me semble important de souligner que les termes renvoyant à des catégories socio-professionnelles ne disent rien sur la subordination réelle, dans l'entreprise, des salari-é-s concerné-e-s, leur proximité (et non leur similitude) de positionnement dans les rapports sociaux de production, et introduisent au sein du prolétariat des divisions politiques funestes.

Claude Didry parle de « révolution du contrat de travail », de « voile du métier » déchiré, de « grammaire nouvelle du travail », de différence avec l'« ouvrage », « le contrat de travail permet non seulement de ramener les ouvriers à la condition commune du salariat, mais également de surmonter la partition entre travail manuel et travail intellectuel ». L'auteur poursuit sur les enjeux du Code de travail, la « continuité » de la relation, l'identification de l'employeur… puis la convention collective, la revendication de contrôle ouvrier, les changements législatifs dans les premières années du XXe siècle et particulièrement après la première guerre mondiale. Il insiste à juste titre, me semble-t-il, sur la législation sur la durée du travail, la « branche » ou l'« industrie » au détriment des métiers et de l'ouvrage, l'« équivalence temps-salaire », la « dépendance économique » et la « subordination juridique », la qualification professionnelle, la protection sociale et la cotisation sociale… Tous points de grande actualité car objets de remise en cause aujourd'hui par les pouvoirs publics au nom du « libre commerce » et de la « régulation naturelle par les marchés ».
La notion de contrat soulève de larges problèmes politiques (voir par exemple Claude Renoton-Lépine : Contrat sexuel, contrat social, contrat de travail… , « À rebours » : préface de Geneviève Fraisse à l'ouvrage de Carole Pateman : le Contrat sexuel (1988) , Carole Pateman dont je souligne « Un ordre social libre ne peut être un ordre contractuel ») ; la problématique du salariat et de son « abolition » peut être repensée ou réinterprétée ; la cotisation sociale peut être un exemple d'un futur émancipateur déjà présent (voir Bernard Friot : L'enjeu du salaire) ; la qualification ré-abordée (Pierre Naville : Essai sur la qualification du travail)… Et aux réponses dévastatrices de destruction du code du travail, ce qui devrait être à l'ordre du jour est plutôt son renforcement, accompagné de la limitation des pouvoirs liés à la propriété lucrative…
Claude Didry passe vite sur les Bourses du travail pour parler du syndicalisme d'entreprise. Cela peut se comprendre en regard du sujet traité. Cependant l'abandon de ces lieux d'activité et de regroupement des travailleuses et des travailleurs a eu des conséquences tant sur l'organisation de celles-ci et de ceux-ci, que sur celles et ceux privé-e-s d'emploi, les chômeuses et les chômeurs, sans oublier les impacts sur les activités même du syndicalisme, en regard des deux « tâches » du Congrès d'Amiens.

L'auteur aborde, entre autres, les conventions collectives de branche, la qualification versus le métier, le passage du syndicalisme de métier au syndicalisme d'industrie, la confédéralisation, la revendication de « contrôle ouvrier », la classification des catégories professionnelles, les cahiers de revendications, institution des comités d'entreprise, la qualification des emplois, la formation… Il le fait souvent au travers d'exemple, d'analyse de jurisprudence, ce qui donne un éclairage supplémentaire aux dynamiques exposées.

Plus discutables me semble, la sous-estimation de la place de la grève générale réduite à « un mythe fondateur », la tendance à l'assimilation de la classe ouvrière aux seuls « ouvriers », la territorialité de production réduite à l'« établissement », le manque de recul sur les comités d'entreprise : instance de consultation, effets d'institutionnalisation du syndicalisme au détriment de l'activé revendicative, gestion des activités sociales comme source de divisions entre salarié-e-s (en bénéficiant ou non) ou de corruption, l'usage a-critique du terme « champion nationaux » pour des grandes entreprises capitalistes, le silence sur le patriotisme d'entreprise (ou l'alignement sur des projets industriels comme le nucléaire) et ses effets sur la division des salarié-e-s…

Claude Didry analyse la découverte de la « compétitivité », l'invention des restructurations, la formalisation du chômage, les reconversions des travailleuses et des travailleurs, la place des politiques institutionnelles, la « crise » de l'emploi, les modifications (le terme « la grammaire » me semble très pertinent) du marché du travail, la fantasmatique « flexicurité », le contrat à durée déterminé (CDI) et les contrats atypiques (mais sans statistiques genrées), les restructurations, les exemples de LIP et Rateau, les débats autour du « maintien du contrat, la « sécurité sociale professionnelle »…

Je pense pas utile de reprendre la notion de « chômage structurel » masquant des réalités de fonctionnement du système de production (pourquoi ne pas parler de partage inapproprié des heures de travail, socle pour les revendications de baisse massive du temps de travail). Je reste très dubitatif sur le centrage autour de l'entreprise comme lieu du travail concret, la réduction de l'industrie à celle de la production « matérielle » (manufacturière), les appels à la régulation par l'Etat (« action tutélaire de l'Etat »), la caractérisation de « régime démocratique » pour la IIIe République (qui ne fut pas une République démocratique et sociale mais bien une République colonialiste) et dont les parlementaires, contrairement à ce qu'écrit l'auteur, ne furent pas élus au suffrage universel, mais au suffrage des hommes nationaux (mais pas les colonisés) de plus de 23 ans (sauf erreur)…

et l'absence de débat sur les liens entre travail et « réappropriations sociales »…

Reste que Claude Didry propose autour de l'institution du contrat de travail et du salariat, des analyses et des réflexions plus qu'utiles pour comprendre comment s'est construit le code du travail (et contre quoi). Et, pour reprendre une idée déjà exprimée, comment ce présent peut-être appréhendé comme anticipation d'un futur émancipé.


Lien : https://entreleslignesentrel..
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