Citations sur Yrmeline ou le chant des pierres (17)
Les yeux clos, elle appliquait ses mains contre le granit rugueux des menhirs et entrait en résonance avec les pierres pour devenir le réceptacle vivant de tout ce qui se propage dans l’univers. Ondes sonores, vibrations cosmiques, champs magnétiques, forces telluriques, rayonnements lumineux traversaient son corps abandonné à leur puissance pour en capter les énergies vives.
Dans son corps, Yrmeline percevait alors, le chant des pierres.
La vie et la mort ne sont jamais que les deux aspects d’un tout, à la fois contraires et complémentaires, antagonistes et indissociables. La vie engendre fatalement la mort. Mais à l’inverse, d’après les druides, la mort elle-même donne la vie, tout comme la nuit enfante le jour. Cela parce que le monde est né de l’obscurité et du chaos. Ce chaos initial, qui en créant des auras vibratoires suffisamment opposées pour libérer l’énergie fondamentale, a engendré la matière. Cela peut vous sembler ardu. Mais, depuis les temps les plus reculés, les anciens ont su symboliser cette impulsion cosmique, ce souffle de vie dont parle la Genèse. Sur un nombre important de mégalithes et dans plusieurs sanctuaires préchrétiens, on peut encore trouver les traces de cet art figuratif et découvrir, gravées dans la pierre, les doubles spirales d’énergie représentant l’équilibre entre deux forces contraires. Il y a fort longtemps, les druides étaient familiarisés avec ces concepts scientifiques.
Ne sachant trop quelle attitude adopter, Piotr avait considéré, un bref instant, la physionomie de l’héritier de la Horde d’Or. Ses traits, un peu lourds, contrastaient avec son regard implacable. Ses yeux noirs très étirés vers les tempes, brillaient d’un éclat fiévreux. De longues moustaches retombaient de chaque côté de sa bouche grasse et lippue. De petite taille mais trapu, il paraissait à la fois, indolent et agressif, dissimulant sous ses dehors nonchalants, une puissance cachée qui inspirait instinctivement la méfiance. Comme chez les grands fauves, une réelle férocité couvait sous cette langueur trompeuse.
Ici, dans ces contrées sauvages, le monde réel paraissait se dissoudre dans les brumes d’un passé archaïque, chargé de mystère. Du reste, à l’instant même où il avait posé le pied en Estonie, Malberg avait éprouvé l’impression, confuse mais prégnante, de pénétrer dans une autre dimension, de s’immiscer dans un univers de mythes et de légendes, en marge du reste du monde.
La belle hocha la tête d’un air navré.
« Je décèle en vous l’âme d’un paladin, la sensibilité d’un poète et la probité d’un juste, dit-elle d’une voix consolante. Alors je vous en prie, cher Lanz, passez votre chemin ! Partez sans vous retourner ! Fuyez l’Estonie et oubliez-moi, de grâce ! Vous ne récolteriez que tribulations et malheurs à m’accorder votre foi. »
Le cavalier, solitaire et fatigué, respirait avec bonheur l’air roboratif du large. À ses pieds s’étalaient les eaux améthyste de la baie, s’éveillant dans le flux et le reflux incessant du ressac. Lanz, saisi par la splendeur farouche de ces rivages battus par les vents, en oubliait presque sa nuit éprouvante. Il ressentait le besoin de faire le vide dans son esprit, de ne plus penser à rien, ne serait-ce qu’un instant !
La jeune fille tourna vers lui son regard divinement bleu. Enchanté, Malberg nota que l'ombre d'un sourire revenait jouer sur ses lèvres exquises.
“Le seigneur maudit recrute l’élite de la chevalerie à son service afin de constituer une armée occulte et invincible dont il s’arroge le commandement.”
Epuisés, les jeunes s'enroulèrent dans le chaud manteau de Lanz et s'étendirent dans le sable. Les amples respirations de la mer berçant leur sommeil, ils s'endormirent bientôt dans les bras l'un de l'autre.
Quoi qu'il en soit, désormais, le vieux magister cernait mieux les raisons pour lesquelles la fille du comte de Grunewald revêtait une telle importance aux yeux de la conjuration de l'Aube. Les sept membres du collège sacré qui en formaient la tête avaient toujours su ce que cette prodigieuse enfant était appelée à devenir. Une fois ses limites dépassées, sa puissance éprouvée, Yrmeline constituerait la pièce maîtresse de leur échiquier mondial.