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Critique de si-bemol


(Lu dans le cadre des Masses critiques Privilège)

Joseph Kamal, 22 ans. Un parcours scolaire ordinaire. Bachelier. Apprécié dans la boîte d'intérim où il travaille. Une petite vie sans histoires. Jusqu'à ce coup de main donné à son frère Tonio, sa seule famille, délinquant, braqueur, récidiviste, jusqu'à cet excès d'amour, de solidarité fraternelle, et sa vie qui bascule brutalement : son frère abattu sous ses yeux par la police, et son incarcération pour complicité de braquage.

Commence alors pour notre héros une longue descente aux enfers, qui va durer trois ans : la prison, où il fait le deuil de sa pureté et de son innocence, où il découvre la violence extrême et gratuite des matons comme de ses co-détenus, l'humiliation et la loi du plus fort. Un enfer où il apprend la haine. Une haine absolue, totale.

Et puis… coup de théâtre. Une explosion nucléaire, la “Fissure”, qui détruit la moitié de l'humanité. Evacuation de la prison. Evasion. Et une nouvelle vie qui commence. Une vie différente. Avec cette haine, toujours, fichée au plus profond du coeur. Brûlante. “Emmitouflé dans ses laines, Joseph regarde la fin de l'homme. Parce que, là-haut, il en est sûr, il n'y a plus d'hommes, enfin. Il faudrait parvenir à détruire ce monde.”
La haine. La peur. La solitude. La survie. le meurtre, aussi. Et le besoin de tendresse, inconscient mais intact.

Dans ce monde déserté où seuls subsistent de l'ordre ancien des panneaux dérisoires (“Défense de stationner”, “Attention alarmes”, “Propriété privée”...), il creuse le sillon de sa solitude, de sa liberté fragile et possiblement menacée, et naît lentement à un autre lui-même : “Il est là, sans pensée aucune (...) Il n'est pas dans un pays étranger, mais dans un pays parallèle. Un monde sans ces hommes et ces femmes-ci. Un monde de chênes et de pins, un monde qui griffe, qui chante, qui cailloute et cogne avec le soleil, un monde qui bruisse sous l'eau, et maintenant broute. C'est dans la grande Zone du contre-monde, son Domaine à lui.”

Seul avec lui-même, dans la simplicité de la nature, dans l'amitié des arbres, de la pluie et de quelques bêtes survivantes (un mouton, des oiseaux, des chats), est-il sur le chemin d'un apaisement, d'une forme de pardon, de reconstruction, de rédemption, peut-être ? Ce serait sans compter avec l'intelligence du récit dont fait preuve Sophie Divry. “Trois fois la fin du monde”... Après l'incarcération, après la Fissure, il y aura bien pour Joseph une troisième “fin du monde”, un désastre absolu qui viendra clore ce récit intense et bouleversant… dont je vous laisse découvrir la fin.

J'ai vraiment tout aimé de ce roman crépusculaire que j'ai lu d'une traite et quitté avec peine, le coeur serré : sa langue -ou plutôt ses langues- (celle de Joseph, tendance “9-3” contrastant fortement avec celle, somptueuse, de l'auteur), sa construction, la véracité des personnages, comme la finesse des analyses psychologiques et des situations, la poésie sensuelle et forte avec laquelle sont rendus (un peu comme chez René Frégni ou Christian Bobin) ces petits “riens”, si importants, de la nature. Et j'ai beaucoup aimé également l'originalité de ce livre qui n'est ni un récit carcéral, ni un roman post-apocalyptique… mais un “objet littéraire” un peu à part, une forme de quête personnelle à la fois lumineuse et sombre, une exploration tout en finesse de la solitude extrême et du chagrin, qui m'a beaucoup touchée.

Pour cet excellent moment de lecture, un grand merci à Babelio, aux éditions Noir sur Blanc… et à Sophie Divry, un auteur que je ne connaissais pas et dont il me tarde de découvrir les précédents romans !
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