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Critique de Bouteyalamer


Les anthropologues, les historiens, les journalistes et chacun d'entre nous savent que la violence est partout. L'écoute d'une émission de France Culture m'a fait penser que le livre d'Elsa Dorlin était important. Je suis déçu. Si vous avez d'autres occupations, passez cette critique.

Le prologue de « Se défendre » rapporte la violence subie par deux victimes dans l'impossibilité de résister. le premier cas est la torture infligée en 1802 à Millet de la Girardière qui fut assis sur une lame tranchante jusqu'à ce que mort s'ensuive. La scène est spectaculaire, mais son exemplarité est douteuse : la victime, accusée d'avoir fomenté une révolte sanglante, était un grand propriétaire de la Guadeloupe et son châtiment avait paru démesuré aux contemporains. Plus adapté au premier des deux thèmes du livre — les violences faites aux Africains-Américains et aux femmes —, est l'exemple de Rodney King, un noir désarmé, lynché en 1991 par des policiers qui furent acquittés par un jury blanc parce qu'ils se prétendaient menacés par la défense du suspect.

Suivent des exemples d'autodéfense dans des situations de violence asymétrique. Les danses martiales des esclaves noirs aux Antilles et aux États-Unis symbolisaient la défense de victimes désarmées face à leurs agresseurs armés. Toutefois elles sont mieux attestées en tant que danses qu'en tant que techniques de défense : l'auteure ne décrit pas leur usage défensif et cite en référence 78 les guerriers Fang au Gabon et les Boxers en Chine. le jiujitsu des suffragettes voulait réduire l'asymétrie de la violence entre les femmes qui résistaient à l'arrestation et les bobbies entraînés au maintien de l'ordre. L'auteure cite ensuite le ghetto de Varsovie où les juifs tentaient de se procurer des armes pour un combat sans espoir, et le krav maga qui est une technique de commando surentraîné plutôt qu'une méthode d'opposition du faible au fort.

On trouve au milieu du livre quelques pages sur Hobbes et Locke sous le titre « l'État ou le non-monopole de la violence », à contrepied de la thèse de Hobbes. L'auteure fait suivre les horreurs du vigilantisme, du lynchage et du Ku Klux Klan. le rapprochement avec Locke suggère, sans l'affirmer, que le droit naturel imprescriptible à la défense armée de soi et de sa propriété ont permis la bonne conscience des vigilants et le laisser-faire tacite de Washington, auxquels s'ajoutent le système judiciaire corrompu et la défense délirante de la femme blanche contre le mythe du violeur noir.

Viennent ensuite deux chapitres bien documentés sur Robert Williams, théoricien de la défense armée, sur le mouvement Black Panther, puis — la transition passant par le « virilisme » de ce dernier — sur le mouvement gay féminin. Ces chapitres se limitent aux États-Unis au tournant des années 70. le domaine européen apparaît dans les années 90 avec l'apologie d'un roman de vengeance, « Dirty Week-end », auquel l'auteur consacre deux chapitres, et avec la critique des récentes campagnes d'affiches contre les violences conjugales (« Ces photos contraignent la vue dans l'indifférence de la pensée, elles l'épuisent et prennent de force notre imaginaire en le gavant d'impuissance jouissive » [?] p 162). le livre s'achève par le meurtre de Trayvon Martin en 2012 par George Zimmerman, « un vigilant de l'état racial », scandaleusement acquitté en 2013.

Ce livre est manifestement une compilation d'articles et de cours. Il forme un puzzle très lacunaire, y compris sur les thèmes d'élection de l'auteure, les droits des Africains-Américains et des femmes dans les États-Unis des années 70. Il est difficile à lire : l'auteure use de néologismes qu'elle ne définit pas (biomilitantisme, thanatoéthique, agnotologie), de titres et intertitres non informatifs, et souvent de tournures obscures comme p 30 « Le fantasme d'un corps hyperboloïde [?], d'un déploiement à l'infini de son existence musculaire [?], est le creuset d'une subjectivité pathogène, dépouillée de toute habilité effective [?] ». le livre est conclu ainsi : « La peur comme projection renvoie ainsi à un monde où le possible se confond tout entier avec l'insécurité, elle détermine désormais le devenir assassin de tout “bon citoyen”. Elle est l'arme d'un assujettissement émotionnel inédit des corps, mais aussi d'un gouvernement musculaire [?] d'individus sous tension, de vies sur la défensive ». Accessoirement, le livre pratique l'écriture inclusive, ce qui n'est pas gênant mais parfois hasardeux, par exemple « Un type d'individu.e.s [?] toujours présumé.e.s coupables » (p 28-9).
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