Citations sur Dossier de l'art, n°229 : Le Corbusier et l'aventure .. (10)
De l'école de Nancy jusqu'aux motifs géométriques de Josef Hoffmann ou Charles Rennie Macintosh, à l'aube du XXe siècle, l'ornement est progressivement simplifié, stylisé, jusqu'à devenir un motif totalement abstrait. De ce phénomène découle un autre dogme : le fonctionnalisme, ou comment valoriser l'aspect fonctionnel du meuble. Désormais, le motif ornemental ne doit pas être posé sur la structure de façon autonome, mais en faire partie de façon intrinsèque.
Archaïsme savant, maniérisme constructif, dictateur romantique, il avait tout pour déplaire. La quasi-totalité de ses confrères lui ont craché dessus sa vie durant. "Aucun n'a signifié avec une telle force la révolution de l'architecture, parce qu'aucun n'a été si longtemps, si patiemment insulté" dira André Malraux, ministre de De Gaulle, pour les obsèques du maître dans la cour Carrée du Louvre le 1er septembre 1965. Depuis cette date, dans une immense contrition collective, la profession, au titre du pardon, pratique la nécrophilie néo-moderne dans la recherche de modestie, "masque de la vanité" comme disait le poète William Blake.
Le Corbusier vu par l'architecte Rudy Ricciotti, (p. 37).
La nature est appréhendée par les peintres puristes comme un ensemble organique qui, répondant à des lois géométriques et constructives claires et intelligibles, fonctionnerait comme une machine. Ainsi, en reliant l'art à la pensée scientifique, le purisme attribue à l'époque contemporaine [âge de la machine] le même esprit de rigueur, d'ordre et de clarté qui caractérise le grand art classique.
L'innovation est aussi spatiale : l'espace traditionnel cloisonné est totalement déstructuré au profit d'un espace ouvert, fluide, où se concrétise le concept révolutionnaire d'espace-temps que Le Corbusier rebaptise plus poétiquement "promenade architecturale".
La rupture avec le passé n'est pas seulement formelle. Au sortir de la Première Guerre Mondiale, le mouvement moderne est le fait d'artistes qui refusent le repli nationaliste qu'imposerait le respect des morts et le souci d'éviter à tout prix une remise en cause des systèmes politiques ayant permis une telle conflagration. Aux valeurs de l'avant-guerre et de l'oubli, l'architecte et ses émules opposent le refus des solutions qui ont conduit une société au désastre. Au sentiment nationaliste, xénophobe et souvent raciste, Le Corbusier oppose la vision d'un "homme nouveau", universel, à qui il conviendrait de procurer un cadre architectural moderne à sa mesure.
Il s'agit d'employer des "éléments primaires" en les coordonnant suivant des règles pour provoquer en tout homme les mêmes émotions, quelle que soit sa race, sa culture, son âge ou sa religion. C'est l'axiome utopique sur lequel repose le purisme, langage à vocation universelle fondé sur l'utilisation de couleurs primaires et de formes primaires : le cube, le parallélépipède, la pyramide, la sphère.
[Universalisme contre le repli nationaliste, p16]
Le modernisme croit en une espèce d'homme universel pour lequel il s'agit d'imaginer un nouveau mode de vie. Il s'appuie sur la conviction - remise en cause par l'école de Francfort - que l'on peut émanciper l'homme. L'Unité d'habitation de Marseille de Le Corbusier en est la parfaite illustration. Incontestablement, le modernisme s'accompagne d'une vision un peu totalisante de l'organisation sociale : on organise tout pour libérer les individus. A un certain moment, cette utopie sera réencadrée par des gouvernements totalitaires - du moins avant que ces derniers, réagissant contre l'idée d'émancipation, ne se retournent, systématiquement, vers le classicisme. C'est ainsi qu'en Italie, en Allemagne, on élimine dans les années 1940 les rationalistes, les modernistes.
Frédéric Migayrou, p. 12-13
Après s'être éloigné d'Ozenfant, Le Corbusier développe à partir de 1925 sa peinture élaborée au sein du purisme, tout en intégrant de nouveaux sujets dans des natures-mortes de plus en plus lumineuses et aérées. Aux objets manufacturés s'ajoutent désormais des figures féminines, le plus souvent isolées et figées dans l'espace, tandis que la notion d' "objets à réaction poétique" se précisent dans les oeuvres et dans les écrits de l'artiste. Ces objets naturels et organiques (pierres, écorces, racines, fossiles, os) que Le Corbusier introduit dans ses peintures de la deuxième moitié des années 1920 ne sont pas choisis uniquement pour leurs qualités plastiques, comme l'étaient les ustensiles manufacturés de l'époque puriste. Par leur déformation et leur capacité à évoquer souvenirs, sensations et imageries, ils ont le pouvoir de provoquer une "émotion poétique" chez le spectateur.
Le Corbusier peintre, vers une perception totale, (p. 34).
Je n'ai cessé de peindre tous les jours, arrachant où je pouvais les trouver, les secrets de la forme développant l'esprit d'invention, au même titre que l'acrobate, chaque jour, entraîne ses muscles et sa maîtrise. Je pense que si l'on accorde quelque chose à mon oeuvre d'architecte, c'est à ce labeur secret qu'il faut en attribuer la vertu profonde.
Le Corbusier peintre, (p. 30).
Aucun architecte, dans toute l'histoire de l'architecture, ne s'est autant exprimé sur tous les sujets allant de l'art décoratif à l'aménagement du territoire, ainsi que sur de nombreux phénomènes de société. [p16]