Dante et
Virgile, le visage mangé par l'ombre, regardent, debout, comme statufiés, la scène terrible qui se déroule à leurs pieds. Ils sont dans le neuvième cercle de l'Enfer, un univers obscur et gelé, autour d'eux les damnés prisonniers des glaces sont des silhouettes informes et torturées qui s'évanouissent dans un arrière-plan étouffant, noir et sans limite.
Dante et
Virgile seuls points de couleur dans cette atmosphère ou domine le gris et le noir, semblent interdits. l'effroi est sur leurs traits, presque à leurs pieds le comte Ugolin dévore le crâne de l'archevêque Ruggieri. Arrêt sur image. le cinéma et la bande-dessinée se sont largement inspirés de l'oeuvre de
Gustave Doré et pour cause. Son sens de la mise en scène, sa capacité à « capter » l'humeur d'une situation, sa force évocatrice dans le tragique comme dans le drolatique ont fait sa renommée. Cette grande toile magnifique de rigueur et de lyrisme fait partie de l'exposition qui eut lieu au Musée d'Orsay de février à mai de cette année.
Cette exposition, outre de revoir les célèbres illustrations des Contes de Perrault, de
Gargantua, Don Quichotte,
la Bible et
la Divine Comédie, permet de découvrir
Gustave Doré le peintre, le sculpteur et le dessinateur-illustrateur prolifique inspiré par d'autres oeuvres littéraires, par ses voyages, par la vie...
Gustave Doré, jeune garçon surdoué, hyperactif, commence très jeune comme caricaturiste. Il devient vite célèbre par son illustration du
Gargantua de
Rabelais. D'une renommée internationale, infatigable travailleur, exigeant, il veut tout. La gloire, l'argent, la reconnaissance inconditionnelle de ses pairs. A sa grande amertume, il restera pour beaucoup qu'un illustrateur de génie. Lui qui se veut grand peintre et grand sculpteur ne récoltera souvent qu'indifférence et mépris pour sa peinture et sa sculpture.
Gustave Doré est un paysagiste tout à fait honorable par exemple. Il suffit de voir les quelques toiles exposées. Paysages sublimés, nature fourmillante de détails, saturée de lumière et de couleurs. Ambiance de Genèse. L'humain est insignifiant ou inexistant. Les paysages de
Gustave Doré sont à la fin de l'exposition comme une reconnaissance tardive et repentante.
Mais il faut revenir au début de l'exposition, à peine le regard détourné des sculptures et quelques pas faits dans la salle suivante que le regard est happé par « le Christ quittant le prétoire », toile immense ; Nous sommes en plein péplum biblique, Cecil B. DeMille peut aller se rhabiller. le Christ vient juste de s'arrêter sur les marches, la foule dense autour de lui gronde, retient son souffle, s'émeut, à peine retenue par les gardes, la lumière irriguant le passage du Christ tempère l'ombre où s'anime les passions. Là encore tout est en suspens, à peine le mouvement est arrêté. L'académisme et le romantisme se mêlent, ce n'est pas ma toile préférée mais la virtuosité de l'ensemble ne peut laisser indifférent. L'oeuvre picturale souvent méconnue de
Gustave Doré est riche, empreinte de sensibilité, d'extravagance, d'un « savoir-faire » indéniable là où les puristes pourraient rechigner d'une forme de liberté d'inspiration et d'exécution.
Les sculptures de
Gustave Doré sont à l'image de son oeuvre, diverses, fantasques, romantiques, lyriques, majestueuses dans leur petitesse et dans leur grandeur. Ma préférée s'intitule « Joyeuseté, dit aussi A saute-mouton », c'est un petit bronze où un chevalier en armure joue à saute-mouton avec un moine. C'est l'instant du bond, léger, drôle, irrévérencieux, délicat. Une petite merveille.
L'oeuvre de
Gustave Doré est complexe, traversée par une boulimie de travail. Par sa capacité d'ingérer, de digérer, de recracher ce qu'il voit sous une forme ou une autre avec un sens du drame, du burlesque, aussi. Une imagination sans bride, semblant inépuisable, indomptable.
Reste ses illustrations.... Trop riches pour quelques lignes.... Plus tard...