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Critique de PatriceG


Souvenirs de la maison des morts (1861)
Fédor Dostoïevski
(1821-1881)

" A travers les fentes de la clotûre, on aperçoit un petit bout de ciel, non pas celui qui est au dessus de la prison, mais un autre ciel, lointain, libre .."
On peut imaginer avec un peu d'empathie qu'au dessus de la prison, dans le ciel, c'est encore la prison, et puis que son pays natal est bien loin de l'endroit où il est condamné aux fers, c'est-à-dire en Sibérie.

Cela me fait penser à "Je ne reverrai plus le monde" écrit par Ahmet Altan qui était aux alentours de sa 4eme année de détention dans les goeles d'Erdogan, et qui fait référence à l'oiseau synonyme de liberté tout comme le bagnard de Souvenirs .. qui lâche l'aigle misant sur lui sa liberté projetée !


Je ne sais pas ce que devient Ahmet Altan, peut-être a-t-il signé un pacte de non agression à sa sortie avec le pouvoir turc pour connaître un semblant de liberté comme dans une grande cage l'oiseau. Ce qu'on appelle : assigné à résidence, comme son frère. Bon telle n'est pas la question. Altan approchait du cap des 5 ans de détention, ce qui veut dire dans cette prison aux conditions de détention dont la réputation n'est plus à faire, qu'on n'en sort pas indemne..

Dostoïevski ne fut pas plus coupable des faits qui lui furent reprochés qu'Ahmet Altan. Tout au plus une oreille tendue accordée aux subversifs, ici jugés décabristes, là putschistes pour un message subliminal qui prête à sourire. Comme Nicolas 1er fut à peu près le même genre de dictateur qu'Erdogan dont nous avons le privilège aujourd'hui d'apprécier ses exploits.

A l'avantage de Dostoïevski, si je puis dire, c'est que l'écrivain russe obtint ensuite une sorte de réhabilitation même une rente qui lui permit d'écrire et Dieu sait avec quel succès.


Omsk, le bagne, Sibérie (1850-1854) C'est du Soljenitsyne avant Soljenitsyne du moins dans l'état des lieux qui s'ouvre au lecteur, où politiques et droit commun étaient à la même enseigne, le bien et le mal se côtoient, comme la bonté et la cruauté font bon ménage. Je ne dis pas que ces disparités vont être le salut de Fédor, mais en tout cas décrire ce monde glauque va occuper l'écrivain, comme plus tard Soljenitsyne autopsiait la journée d'un condamné.

Fédor va projeter dans son oeuvre le protagoniste Pétrovitch plutôt que d'avoir le scrupule de lui ressembler, le mettre en exergue pour mieux tirer les ensiegnements de sa petite vie monocorde, si ce ne fût la promiscuité parfois insoutenable de crapules qui se comportaient probablement comme ça dans la vie, abusant des mêmes sarcasmes, jusqu'au passage à l'acte qui bien sûr ici était émoussé par les fers. le fin psychologue qu'est Dostoïevski va se nourrir de tous ces travers criminels pour dégager une philosophie du tueur, cette fuite en avant sans conscience qui ne fait rien regretter des crimes qu'il commet sur sa route qui s'enchaînent dans une forme d'étourdissement .. Mais Dostoïevski va faire plus que ça, derrière le spectre du criminel, il ne va pas juger, mais entrevoir une âme humaine, l'âme russe dans sa dimension profonde, établir un lien avec ce qu'il est : un russe découvrant une forme d'humilité à pouvoir ressembler à celui qui est en face de lui et que l'infortune a jeté dans ce bagne. C'est édifiant comme une leçon d'humanité ! Mais au delà de sa personne, c'est un lien qui s'établit avec le sort du peuple russe dans son entier où toute la palette de la dimension humaine apparaît rehaussée tout de même de belles qualités comme la solidarité, l'amour du travail, la haine des nobles (*), l' esprit de justice et le goût pour la liberté. La foi aussi qui guide le peuple russe n'est pas absente dans le livre et c'est l'occasion pour l'auteur de se rapprocher un peu plus de ce peuple en lisant l'évangile..

Une multitude de scènes à la fois cocasses, insolites, déroutantes, humiliantes vont profondément marquer la conscience de Dostoïevski : il dira à l'issue de ses quatre ans de bagne que ce fut un mal nécessaire et qu'il ne perdit pas de temps à connaître le peuple russe bien au delà de ce qu'il pouvait en espérer. Bien entendu il se servira de ces matériaux dans ses oeuvres maîtresses.

Et dire qu'on appelle cela la littérature concentrationnaire. Et comment appelle-t-on la littérature des gens du dehors ? Je ne sais pas si les gens se rendent compte, mais ils sont nombreux à vivre dans un tout petit périmètre, comme s'ils étaient prisonniers, et avec le syndrome de Stockholm, on est bien barrés ! Qu'est-ce qui change, juste de se savoir libre avec un faux sentiment de liberté ? Et quand pour certains la prison est la dernière maison , pensent-ils, et qu'une fois libérés, ils s'installent autour de la prison, comme dans la Mule où le Barbier de Sibérie pour cultiver leur jardin ? Tout est bien relatif dans ce bas monde et Fédor Dostoïevski l'a bien compris... On se demande parfois si cette maison de force comme on dit ne prête pas à sourire avec des gens de la trempe de Dostoïevski ?..

Il y a bien un ordre de préséance qui doit s'exercer et Dostoïevski est bien le premier à avoir exploité de la sorte la veine de cette littérature où il semblerait qu'elle soit encore meilleure qu'au dehors, peut-être que c'est au fond du trou enchaîné qu'on voit le mieux les choses de l'âme humaine, en tout cas Dosto nous fait là un hymne à l'âme du peuple russe, pas moins ! Curieux tout de même que le grand écrivain russe n'a proféré qu'une vraie plainte, celle de ne jamais avoir pu connaître le goût inverse de la promiscuité durant ses quatre ans de bagne, se retrouver seul ! Moi qui pensais que les humains étaient grégaires ? ..

Grand livre !..

(*) Ici en tout cas où les cols blancs sont haïs
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