« Vous ne m'avez jamais entendu parler de Victor Trevor ?
me demanda-t-il. Il fut le seul ami que je me fis pendant mes
deux années d'école. Je ne me rappelle pas, Watson, avoir jamais
été un individu très sociable : je préférais m'enfermer
dans ma chambre afin de mettre au point mes petites méthodes
personnelles de raisonnement : si bien que je ne me
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mêlais guère aux garçons de mon âge.
– Vous éveillez ma curiosité ! Mais d'abord pourquoi m'avezvous
dit que cette affaire méritait de ma part un intérêt
particulier ?
– Parce qu'elle a été ma première affaire. J'avais souvent essayé
d'obtenir de mon compagnon qu'il me révèle les motifs
qui l'avaient aiguillé vers les enquêtes criminelles, mais je
n'avais jamais réussi jusque-là, à le saisir dans une humeur
communicative. Or ce soir je le vis étaler sur ses genoux les documents
auxquels il avait fait allusion. Il alluma sa pipe et pendant
quelques instants demeura silencieux dans son fauteuil à
remuer des souvenirs.
– J'ai ici quelques papiers, me dit mon ami Sherlock Holmes un
soir d'hiver où nous étions assis de chaque côté de la cheminée,
qui selon moi mériteraient que vous y jetiez un coup d'oeil.
Il s'agit des documents qui se rapportent à l'affaire extraordinaire
du Gloria-Scott : par exemple le message qui a foudroyé
d'horreur le juge de paix Trevor quand il l'a lu.
D'un tiroir, il avait exhumé une petite boîte décolorée ; après
en avoir défait le ruban, il me tendit un court billet griffonné
sur une demi-feuille de papier ardoisé. En voici le texte :
« Plus de difficultés : rien comme gibier à Londres pour faire
la concurrence. Hudson ton représentant a très bien vendu les
faisans, la faisane et la mèche de fouet. Ta perdrix rouge seule
a la chance de pouvoir quitter cette semaine l'élevage
d'Angleterre. »
Je ne sais pas comment vous vous débrouillez, monsieur Holmes, mais j'ai l'impression que tous les détectives officiels ou officieux sont à côté de vous des enfants.
De tous les fantômes, ceux de nos vieilles amours sont les pires.