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Critique de ninachevalier


Belle famille - Arthur Dreyfus – nrf- Gallimard

Inspiré d'un sombre fait divers ( la disparition au Portugal de Maddie,petite anglaise âgée de 4 ans), Arthur Dreyfus a su le maquiller, le modeler et très vite s'en éloigner grâce à son imagination inventive et polymorphe pour le métamorphoser en oeuvre littéraire. Comme le préconisait Maupassant, l'auteur a choisi de sacrifier la vérité sur l'autel de la vraisemblance. Démarche développée dans le préambule.Mais la fiction ne déteint-elle pas sur la réalité et vice-versa?
L'auteur met en scène la famille Macand, flanquée de trois garçons, dont Madec (7ans) qui surprend par sa différence et semble attirer la malédiction. Les parents, médecins très impliqués dans leur vie professionnelle, laissent parfois leur progéniture seule. Ce qui soulève la responsabilité parentale.
On s'attache d'autant plus à Madec (enfant marginal, solitaire, curieux de tout,d'où ses escapades )qu'il semble souffrir de carence affective. Hélas, le destin nous l'arrache lors de vacances familiales en Toscane. Madec, évaporé, introuvable, aurait-il fugué? Serait-il victime d'un pédophile?
Arthur Dreyfus noue une complicité avec le lecteur, témoin oculaire du drame, ce qui lui donne un ascendant sur les autres personnages. le rythme s'accélère avec l'enquête judiciaire. Une atmosphère anxiogène s'installe,oppressante, à la Hitchcock. La psychose se propage.
Suite à des interrogatoires infructueux,les soupçons se reportent d'un individu à l'autre pour finir sur la mère, la presse à scandale s'en mêlant.
Si Laurence est «  dépourvue de psychologie », Arthur Dreyfus sidère par sa capacité à se couler dans la peau de ses protagonistes, et à pénétrer leur intériorité, tel le caméléon de Madec.
Il autopsie la relation du couple dont les sentiments se délitent: des époux qui ne se comprennent plus, ne communiquent plus, font chambre à part , en arrivent même à la violence.
Il explore les liens : mère/fils, père/fils avec beaucoup d'acuité, soulignant que les parents ont tort de croire « que les enfants sont dupes de leur mensonge ».
Arthur Dreyfus darde ses projecteurs sur Laurence, cette maîtresse femme, capitaine du navire familial, intransigeante, n'hésitant pas à mentir à ses enfants. N'est-elle pas capable de « stratégie torve »? Si la complicité du père avec Madec est tangible, la mère se montre avare en câlineries.
Les réactions de Laurence ( malaise, coup de folie, évanouissement) face à cette absence de Madec déconcertent son entourage. Ne se débat-elle pas avec les affres de la culpabilité? , tiraillée entre deux certitudes: « Je ne l'ai pas tué » et « Son fils s'était tué par elle ».) Son indicible douleur est-elle feinte ou réelle? Son aveu final , bien que resté enfoui, a quelque de glaçant.
La galerie de personnages secondaires irriguent la deuxième partie de la narration en une arborescence de digressions. L'auteur focalise notre attention sur Tony, l'oncle de Madec. Déterminé à remuer ciel et terre, n'hésitant pas à solliciter des sommités, il déchaîne une horde médiatique.
Les paparazzi s'intéressent aussi à Ron, suspect potentiel en raison de son passé interlope.

Arthur Dreyfus a distillé une pléthore de séquences burlesques, quasi théâtrales ( dialogue de sourd et quiproquo entre Laurence et le chef cuisinier), à faire se dérober le tragique. Les préparatifs de départ en vacances de la famille Macand font songer aux vacances de Monsieur Hulot. D'autres scènes relèvent d'un comique à la Benny Hill: Stéphane, « agenouillé en silence » « priant sous un crucifix », le prêtre sursautant quand Laurence se laqua les cheveux, les feuilles de menthe du cocktail de Ron se répandant dans la piscine ne sont que quelques exemples. La démesure est à son apogée avec le cimetière de Granville en passe de devenir une réplique du Facteur Cheval, avec la voiture customisée 'Exoticar'. L'audition papale tourne au vaudeville, le raout au pugilat.
Il ose l'humour noir quand il imagine Simone Cazzi au volant d' « une voiture futuriste carburant aux nimbus »! ou restitue des détails les plus horribles. Il frise la caricature dans certains portraits.

L'auteur entrecroise plusieurs thématiques: influence néfaste des jeux vidéo ou de lectures (mal adaptées à l'âge), les dérives de la presse, l'emballement médiatique, les carences de la justice.
Il insère des réflexions philosophiques: « Fallait-il forcer le bonheur? », et une multitude d'interrogations sur la vie, l'enfance, la famille,l'amour( la déliquescence sentimentale) et la mort.


Arthur Dreyfus impressionne par sa facilité à déployer une riche variation de niveaux de langue.
Il décline le parler rustre de Garrec ( le vieux fermier); le parler enfantin de Madec («T'inquiète! ») ou des garçons; le vocabulaire relâché de Fabien et Tony ( touristes en vacances) contrastant avec celui de Laurence ou du narrateur plus châtié; le commentaire d'un blogueur (style texto).
On songe à Jules Renard en lisant la description du caméléon, « ce cadeau détestable » de l'oncle.
Il nous offre même une incursion du côté de l'anglais et de l'italien, jusqu'au « niet » russe.
A ce vaste panel, s'ajoute la voix du narrateur dans ses envolées poétiques: « Les épineux ondulaient placidement », « les poudrins »assaillent Laurence ; empreinte d'humour: «mastiquant sans joie le goût de la santé ».Sans oublier son sens de la formule: « un coup n'était rien d'autre qu'une caresse très accélérée. Ou bien qu'une caresse était un coup au ralenti » ou « Le soleil s'était appliqué », ce qui permet d'admirer la falaise qui «  ne faiblissait pas à sa réputation dorée ».L'auteur sait nous surgir la scène: « Une confluence de regards escortait son caddie ».

Arthur Dreyfus signe un second roman ample,très maitrisé, désespérément divertissant, servi par une écriture cinématographique, foisonnant de références littéraires, musicales, artistiques.
Le talent du romancier repose dans sa façon de conduire l'enquête, tel un thriller; de décrypter les émotions de la mère mettant en relief ses pensées intérieures et gestes. Au lecteur de juger.
Il campe ses protagonistes dans des lieux dépeints avec minutie: Granville « la Monaco du Nord ».
Quant à la résidence en Toscane, elle s'avéra n'être qu' « un amas de bungalows industriels ».

En tricotant subtilement les épisodes grotesques, hilarants et le registre dramatique, Arthur Dreyfus réussit à décrisper nos zygomatiques et à nous maintenir en haleine par une intrigue effroyable, prenante, enfilant les rebondissements en cascades jusqu'au coup de théâtre final.
Il nous offre un récit multi facettes à son image, qui nous possède encore, le livre refermé.
Un bel éventail d'atouts en faveur de Belle Famille, ce « page turner » qui bouscule et lacère.
A lire d'une traite pour en apprécier encore plus le tempo.
Drôlerie, humour, tendresse sont au rendez-vous, mais aussi suspense, effroi et tension.
On serait tenté de changer le titre Belle famille en Satanée famille ou Maudite famille!
Une écriture dreyfusienne est née.
PS: Quant à Arthur Dreyfus, conseillons lui de réagir comme son narrateur, à savoir:
ne pas se demander pourquoi les gens aiment le lire. Juste le constater!
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