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Critique de Rodin_Marcel


Zoran Drvenkar - «Toi», traduction française publiée en août 2013 au «Livre de poche» par Sonatine (original allemand intitulé «Du» publié en 2010 chez Ullstein). Saluons la qualité de la traduction effectuée par Corinna Gepner.

A la première lecture, ce roman m'avait littéralement emporté, tant les trois intrigues principales sont bien menées, tant les personnages sont bien campés, tant les situations et dialogues sont bien amenés. A la deuxième lecture, le lecteur aguerri repèrent quelques faiblesses, dues principalement à l'invraisemblance de certaines situations (la réalité dépasse toujours la fiction, mais quand même…) sans que ceci n'empêche pour autant d'aller jusqu'au bout. C'est donc un très bon roman, d'autant plus remarquable que c'est bien la première fois qu'un roman noir écrit en langue allemande atteint un tel niveau de qualité (les genres « policier » et « thriller » ne sont pas vraiment les points forts de la littérature germanique).

Cette relecture provoque toutefois un certain malaise, pour deux raisons au moins.
La première tient au fait que cet auteur est un écrivain réputé et confirmé en littérature de jeunesse, ce qui implique une bonne connaissance de cette tranche d'âge. Dans ce roman, le groupe central est justement constitué de cinq adolescentes berlinoises fréquentant encore le lycée : l'auteur campe des personnalités attachantes, bien tranchées, vives et remuantes. Il est donc légitime d'en conclure qu'il restitue dans son récit une bonne part de vérité en ce qui concerne le mode de vie de ces jeunes filles, et c'est là que lectrices et lecteurs de la tranche d'âge parentale pourraient se poser quelques questions : nos adolescentes de milieu urbain vivent-elles vraiment de cette façon ? dans l'absence des parents, en fumant des joints, en déployant une vie sexuelle déconnectée de toute vie sentimentale ? le côté des garçons est illustré de la pire façon, quasiment tous subissant une éducation centrée sur la cruauté et la violence… Est-ce bien là la vie de la jeunesse d'aujourd'hui ?

La deuxième raison réside dans l'extrême violence qui baigne constamment ce récit, à grand renfort de scènes de cruauté autant physique que mentale longuement décrites. Pire encore, si l'un des pôles de violence (Ragnar et consorts) répond à une logique de banditisme, l'autre (le Voyageur) se situe dans la violence stricte, sans autre enjeu ni justification qu'elle-même. Contrairement au Wallander de Mankell, aucune instance extérieure (police ou autre) ne vient punir cette violence, les personnages se détruiront d'eux-mêmes. Comment en est-on arrivé à un tel degré de quasi exaltation de la cruauté dans une littérature destinée au grand public ?

Dans les années post-soixante-huitardes, même le gauchiste qui venait de beaucoup courir après avoir bombardé quelques CRS, se reposait de ses fumigènes exploits en lisant quelques Simenon-Maigret bien raisonnables, quelques Magnan-Laviolette joliment bucoliques, ou – à la limite – quelques San-Antonio à la violence toute rabelaisienne. Faut-il voir un tournant dans la sorties de films comme «Orange mécanique» (1971) ou «Massacre à la tronçonneuse» (1974) ? La complaisance envers la cruauté longuement décrite a depuis largement envahi la production culturelle, et atteint des sommets d'horreur dans certains jeux vidéo précisément destiné à ces « jeunes d'aujourd'hui » que Zoran Drvenkar met ici en scène…
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