Branwell renta à Haworth bouillonnant de projets d'avenir. Il ne parlait plus que de Leyland, d'art et de Londres ; et dans les secrètes chroniques de leur colonie angriane apparut un nouvel Alexander Percy, décrit cette fois par Charlotte, qui devait également avoir admiré le Satan de Leyland à l'exposition de Leeds.
L'expression serait pensive, voire calme, n'étaient le rictus sarcastique de la bouche et l'éclat inquiétant de l'oeil dont le regard - mélange de suprême dédain et de profond savoir - vous glace le sang dans les veines ... Pour moi ce visage incarne précisément l'image que nous nous faisons de Lucifer, l'ange rebelle : on y retrouve le même orgueil glacé ; la même puissance d'intelligence ; la même beauté froide mais parfaite ... Quant à son regard ... sombre et sardonique, il n'a rien d'humain ... J'eus l'impression qu'il lisait dans mon âme et tremblai de laisser percer un sentiment qui déchaînerait ses sarcasmes, exciterait le souverain mépris qu'exprimait chaque trait de son visage. Northangerland a dans les veines une goutte de fiel qui se répand dans ses membres, stagne autour de son coeur, forteresse de toute vie, et transforme le sang glorieux des Percy en un amer et âcre poison ...
Branwell, au cours de sa description de la fondation du royaume d'Angria (quelque vingt-trois pages d'une écriture microscopique et serrée), prête à Percy les plaintes suivantes :
Contemplant ma vie passée,
Je ne vois qu'orages et luttes stériles,
Vagues de douleur, d'espoir, de souffrance,
Retombant pour s'élever à nouveau !
Déjà mon orbite s'incline vers le soir
Où s'accumulent des ombres épaisses
Passant de la jeunesse à l'aube
Au méridien de la vie, sinistre et glacé.
« avec le sentiment étrange, à demi conscient, que le produit de leur imagination avait quelque chose de répréhensible, qui encourrait la réprobation, le blâme de tous ; ils baptisèrent leur création “le monde infernal”, comme si Satan lui-même en était le Grand Instigateur. » (p. 47)
Je ne puis, sans sourire de moi-même, penser qu'à Halifax j'ai consacré trois jours à une affaire que j'aurais pu régler en trois heures; mais en vérité, quand je me retrouve seul en face de moi-même, j'endure de telles affres que je ne puis résister à la tentation de sortir de moi-même...
Cette nuit, j'ai rêvé que Percy était dévoré par Angria...
(...), mais quand tombe la nuit quelque chose en mon coeur se révolte contre une trop lourde solitude; la perte de mes soeurs, ce vide qu'elles ont laissé m'est quasi insupportable.
Chapitre XVII
"Paix dans la mort et joie dans la vie"
Heureux sont les morts, ne les plains pas,
Car si leur vie est achevée, leur tâche l'est aussi,
Et désirs et douleurs ne les tourmentent plus ;
Jamais, sur leur couche terrestre, ils ne connurent
Ce profond sommeil sans rêve qu'est le leur ;
Dans les tombeaux creusés sur la rive inconnue
Dont les Ténèbres et le Silence scellent les portes :
Détourne d'eux ta tête penchée
Et plains le mort vivant - dont l'âme s'est enfuie -
Déserté pas la vie, dédaigné par la mort,
Lui pour qui le Ciel est vide au-delà des nuées,
Lui que jamais n'illumine une lueur d'Espoir,
LUI, la proie de ce ver qui le ronge...
De la mort INEXORABLE, des ténèbres de la tombe.
" Depuis toujours, les ténèbres de la tombe
Ont empli mon coeur de terreur "
Chapitre XVI
« Le laudanum (avec ses 10% d’opium) représentait une libération. »
“Mon malheureux frère n’a jamais rien su de ce que ses soeurs avaient fait en littérature. Il ignorait qu’elles eussent jamais publié une ligne. Nous lui avons dissimulé nos efforts de peur d’éveiller en lui de trop amers remords à la pensée de tout le temps perdu et tant de talents gaspillés. Et maintenant, il ne le saura jamais.”
(...), en 1825, la mort soudaine de Maria et d'Elizabeth, survenant peu avant son huitième anniversaire, emplit le petit garçon d'une angoisse qui ne le quitterait jamais, et qui, pendant des années, peupla ses nuits de cauchemars, si vif et si ardent qu'il se montrât durant le jour.
Chapitre deuxième