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Critique de florigny


L'origine des larmes est placé sous un double signe d'eau et de mort. Depuis deux ans, la démence météorologique a pris un nouveau tournant. Un déluge ininterrompu succède à la sécheresse ; la Garonne et le Canal du Midi en crue ont durablement submergé Toulouse, inondant le métro et obligeant ses habitants à retrouver de vieux réflexes amphibiens. Paul vit là, seul dans sa maison familiale, il a hérité de l'entreprise de sacs mortuaires créée par sa belle-mère. Il est né le 20 février 80, le jour où Citroën a annoncé la dernière refonte complète de la gamme de ses 2 cv, le ton est donné. A cette date a également eu lieu le drame originel : ni sa mère ni son frère jumeau n'ont survécu à l'accouchement. Depuis, Paul a fréquenté plus de morts que de vivants ; il a enterré tous ses proches, jusqu'à son chien bien aimé.


Seul son père haï a résisté jusqu'au jour où enfin, Paul apprend son décès à Montréal où il avait filé à l'anglaise. Son corps rapatrié, le 17 mars 2031 à 23 heures, Paul se rend à la morgue, et 15 jours après sa mort, tire deux balles dans la tête de son géniteur. Ce parricide post-mortem, étrange, presque burlesque, est quasi un cas inédit pour la justice embarrassée, qui condamne son auteur à une peine de substitution à l'emprisonnement. Il est soumis à une année d'obligation de soins : douze mois, douze sujets, douze longues séances aux thèmes prédéfinis, autant de tableaux pour évoquer le théâtre toxique de son enfance dont il a été un sociétaire. Un psychiatre hypocondriaque est chargé du suivi.


Le dernier roman de Jean-Paul Dubois raconte l'année 2031, faite de 12 rencontres théoriques (14 en pratique car deux mois ont nécessité 2 séances) comme les 12 stations d'un chemin de croix avec un psychiatre commis d'office. Affectivement carencé, Paul est obligé de décortiquer sa vie, son refus de contacts sociaux ou de relations amoureuses. Sa seule liaison est avec une intelligence artificielle. Il est sommé par la justice de mettre de l'ordre en lui-même, trier dans la honte et la douleur de ses souvenirs. Il doit se purifier de ses miasmes et s'en débarrasser.


Je ressors sonnée de cette lecture. L'auteur pousse ses thèmes de prédilection à leur paroxysme. Comme souvent, après un départ passablement loufoque – quelle drôle d'idée de tuer un père déjà mort – il entraîne ses lecteurs vers de grands questionnements. Peut-on être un adulte heureux après une enfance malheureuse ? Qu'est-ce qui est vrai dans notre vie ? Ce à quoi nous voulons bien croire ? La religion, le travail, l'amour, la confiance, l'argent, la réussite, tout repose sur des mécanismes codés, des imitations culturelles, des simulations tribales qui offrent la représentation d'une réalité. L'imitation du Christ de Thomas a Kempis est-elle un guide du routard de la spiritualité, un gps mystique balisant le « sentier lumineux » ?


L'origine des larmes est un roman émouvant, poignant parfois, dans lequel l'auteur dresse le bilan – arrêté en 2031/32 - de sa vie éclairée par son enfance. Paul, le personnage principal, possède la grâce d' « un homme qui fait ce qu'il peut, étant ce qu'il est », qui livre avec parcimonie des détails qui sont souvent la discrète signature d'une âme, un accès à la « porte de derrière ». J'ai retrouvé la beauté du style de Jean-Paul Dubois, son goût pour les mots surannés, sa vaste culture discrètement restituée, sa grandeur dans l'humilité, son auto-dérision, son humour toujours affleurant, l'élégance de sa douce mélancolie, son regard décalé. Sans oublier son amour inconditionnel pour les chiens. Bref, j'ai adoré, ai-je été claire ?


"Water, water everywhere, nor any drop to drink"
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