Ce que je pensais trouver en regardant par ce hublot, c’était le passé. Pas un terminal de verre et métal chromé à ras le sol. Ni une explosion de lumières multicolores, noyant d’orange les pistes, les zones d’embarquement et les parkings. Il y avait plus de circulation sur la piste qu’à Las Vegas un samedi soir. Vingt ans de réalité quotidienne, c’était dur à avaler en une seule dose. Et pourtant, ce fut à ça que j’eus droit.
Le temps avait émoussé la lame de ces souvenirs, mais une seule douleur persistait, inchangée, terrible. Doe Findley était tout ce qui restait de mes fantasmes. J’avais évacué la plupart de mes autres rêves, mais celui-là, je l’avais gardé, protégé, nourri d’espoir et je n’étais pas encore prêt à le sacrifier à la réalité.
Pendant plus de vingt ans, j’avais essayé de supprimer les cicatrices laissées par cette année 63. Et, aujourd’hui, elle me sautait au visage ; toujours aussi vivante. Des silhouettes d’une autre époque dansaient soudain devant moi comme si rien ne s’était passé entre-temps. Chief. Titan. Wally. Butts et Vince Dooley. Teddy.
Doe.
Quand l’avion amorça sa descente, les souvenirs commencèrent à me harceler. Des souvenirs que j’avais essayé d’oublier pendant pas mal d’années. J’avais vécu ici le dernier été de mon existence. Après, tout était devenu automnal. Du vert, je suis passé aux couleurs de transition, aux nuances de la mort.
Celles du Viêt-nam.
D’ocre rivières boueuses. Des sacs mortuaires vert bouteille. Des cendres noires à la place des arbres et des villages. Des visages gris aux yeux blancs attendant d’être emballés dans des housses et renvoyés au pays pour y être enterrés.
Telles étaient les couleurs de ma vie depuis cet été-là. En 1963.
Il y avait très longtemps de ça.
Pour moi, retourner à Dunetown, c’était pire que d’aller au Viêt-nam. Je ne savais pas vraiment ce qui allait me tomber dessus, en Indo. Mais Dunetown, je connaissais...