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Critique de 5Arabella


Grand spécialiste du XVIIe siècle, Roger Duchêne s'est beaucoup intéressé aux femmes : les Précieuses, certaines auteures dont Mme de Sévigné etc. Mais il a aussi écrit cette biographie de Molière, considérée comme de référence avant la sortie il y a un peu plus d'un an de celle de Georges Forestier, le grand spécialiste actuel du théâtre classique. Après avoir lue cette dernière, j'ai voulu la comparer à celle de Roger Duchêne, dont j'ai apprécié certains autres ouvrages.

La biographie de Roger Duchêne est très longue (presque 700 pages) et très détaillée. Elle s'appuie, comme il se doit, sur les sources, les textes. Mais il ne faut pas se faire d'illusions : beaucoup de choses, surtout les plus personnelles nous échappent, et l'homme Molière restera toujours une énigme, parce que presque aucun document personnel n'a été conservé. Les biographes, et c'est inévitable, en viennent à interpréter, à projeter, à faire des hypothèses, qui en disent parfois plus sur eux que sur le personnage principal. D'où certaines divergences, inévitables. Roger Duchêne est un auteur honnête et scrupuleux : il nous donne les éléments sur lesquels il se base, même si certains ne vont pas dans son sens, ce qui peut par moments d'ailleurs alourdir le texte. Il prend comme fil rouge de son livre deux textes, la première biographie écrite sur Molière par Grimarest hagiographique à souhait, et une comédie satirique de le Boulanger de Chalussay qui attaque à outrance l'auteur du Tartuffe. On sait maintenant à quel point les deux textes sont loin de la vérité, qu'ils sont au moins à manier avec précaution : Georges Forestier a préféré ne pas en tenir compte, autrement qu'en démontrant leurs invraisemblances en préambule et partir d'autres sources. Roger Duchêne les réfute de façon plus détaillée tout le long de son ouvrage, ce qui malgré tout, à tendance à les légitimer, et peut-être qu'il eut mieux valu les laisser de côté, mais pendant longtemps, la biographie de Grimarest a été la source de référence et l'image de Molière qu'elle a transmis continue à nourrir les représentations de Molière dans le grand public.

Probablement, si on lit une seule biographie, celle de Georges Forestier est préférable : l'auteur est vraiment un spécialiste pointu de l'auteur du Misanthrope, et pour de nombreux points il donne des analyses qui sont très éclairantes et convaincantes. Par exemple pour la genèse du Tartuffe : la pièce et ses contradictions s'expliquent très bien si on part du principe d'une première version en trois actes cohérente, réécrite en cinq actes pour obtenir la levée de l'interdiction la concernant. de même en ce qui concerne l'attitude de Louis XIV : le fait que l'interdiction survient alors qu'il s'apprête à une offensive contre les jansénistes justifie très bien qu'il ne veuille pas indisposer l'Eglise à ce moment précis, et qu'une fois l'affaire réglée, il puisse autoriser la pièce, comme une affirmation de son pouvoir, et qu'à cette époque il est très loin d'être le bigot achevé qu'il sera à la fin de sa vie. Tout cela est un peu flou chez Roger Duchêne, qui n'a sans doute pas autant étudié les textes de Molière de près que Georges Forestier.

Néanmoins, il y a des vrais plus, dans la description du contexte, de la vie au quotidien d'une troupe de théâtre, dans l'étude détaillée de l'évolution du répertoire du théâtre de Molière après son retour à Paris, de l'équilibre financier et malgré le succès de sa fragilité. Etrangement, la personne de Molière m'a parue plus proche : Roger Duchêne détaille les fréquentations de l'auteur-comédien, et il est clair que ce n'était pas des enfants de coeur : visiblement de bons vivants, portés à une forme de libertinage intellectuel, voire pour certains à l'athéisme. Molière devait mener parmi eux une vie plutôt animée et joyeuse, qui comportait aussi des échanges intellectuelles iconoclastes. Ce qui explique aussi une partie de son oeuvre, et laisse supposer une personnalité qui devait s'accommoder mal de la perspective de reprendre les activités professionnelles paternelles avec la vie bourgeoise rangée qui allait avec.

Un ouvrage très recommandable.
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