Dans les yeux de ma mère, je vois des choses qui me terrassent. Je vois d'immenses conquêtes, des maisons vides et des armures. Elle porte en elle une colère qui me condamne et m'oblige à être meilleur.
Les poètes disent que l'amour pour une personne s'adresse à ce qu'il y a de plus seul en elle.
N'aime jamais. Admire, dévore, enchante, mais n'aime jamais, ou tu seras dépouillé.
Ma mère est une femme sûre d'elle. Je lui fais une confiance absolue. Elle doit cette assurance à sa naissance, puisqu'elle est duchesse d'Aquitaine, élevée dans le luxe et les livres, nimbée du souvenir de son grand-père, le premier poète. Pour elle, la soie et le savoir ne font aucune différence. Très tôt, elle a géré ses fiefs d'une main ferme. Les rébellions des seigneurs, les récoltes, le tracé des frontières, le règlement des litiges… Aliénor aime gouverner et connait chaque ruelle du plus petit village de son Aquitaine. Car elle porte sa terre comme un bijou fondu dans sa peau.
Ma mère entre en pays inconnu. Le vent y est gelé. Personne n'y habite. Derrière les murs hauts, elle entend des rires et des phrases, ceux des préservés. Elle aura beau s'écorcher les mains à trouver un passage, tenir et fabriquer encore des enfants, ça ne change rien. Une frontière sépare sa vie des autres vies. Elle avance parmi les mères amputées d'un petit, ombres dansantes qui psalmodient des berceuses. Désormais, ma mère connaît l'envers du monde.
Les grands rêveurs sont les êtres les plus durs que je connaisse.
Ma mère m’a toujours dit que, à défaut de pouvoir régner comme elles l’entendent, les femmes pouvaient prendre le pouvoir par l’écriture – elle poussera ses filles vers la littérature et la poésie.
Ma mère est une femme sûre d’elle. Je lui fais une confiance absolue. Elle doit cette assurance à sa naissance, puisqu’elle est duchesse d’Aquitaine, élevée dans le luxe et les livres, nimbée du souvenir de son grand-père, le premier poète.
Combien de fois l’ai-je entendue, lors des veillées, inviter les troubadours, leur disant : « Chantez-moi ce qui n’existe pas » car seule la littérature peut inverser le sort, le temps d’un poème.
Les grands rêveurs sont les êtres les plus durs que je connaisse. (p.50)