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Critique de marcbali


Aujourd'hui je vais évoquer L'inclinaison premier roman captivant de Corentin Durand. Ce texte m'a évoqué le premier roman de Jean-Baptiste del Amo Une éducation libertine. Des résonnances entre ces deux oeuvres, notamment sur la question de l'identité sexuelle et l'évocation d'une époque que les deux jeunes auteurs n'ont pas connue (les années 1980 et le sida) m'ont touché.
Le vocable du titre, ce mot inclinaison peu usité, revient à cinq ou six reprises dans les chapitres du roman. C'est une façon d'évoquer l'attirance, le désir ou le goût : en l'occurrence celui du narrateur pour les hommes bien qu'il s'en défende d'abord avec son comportement homophobe assumé. Il a vingt ans, il vit à Paris dans le quartier de la gare de l'est et effectue du deal. Il précise : « je ne sais plus quand cela a commencé. Je me souviens seulement que j'avais abandonné mes études, que je n'avais plus d'amis et que, dans ma solitude, j'avais raccroché le premier train qui passait. » L'inclinaison est à la fois un road-trip et une quête identitaire, une acceptation de soi. le récit débute dans la capitale et raconte le rapprochement entre le protagoniste et un groupe de jeunes qui revendent de la drogue et apprécient les substances qu'il prépare. Son trafic et le compartimentage de ses fréquentations l'isolent un peu. Il dit à propos d'un client : « Marc et moi n'étions pas des étrangers. Je le connaissais depuis plus de deux mois, durant lesquels, d'abord dans une boîte de nuit, puis à domicile, je lui avais livré mes cristaux. Il payait grassement, surtout depuis que je le tutoyais. » Au domicile des acheteurs le narrateur se laisse parfois aller à participer à des partouzes ou des orgies, il n'est pas épanoui : « il y avait dans mon jeu répétitif avec la drogue quelque chose qui disait tout de mon dessein : je me perdais, nuit après nuit, à la recherche d'une dévastation pour faire de mon corps une photographie. » de Paris jusqu'en Espagne il va fuir pour rejoindre le Bleu, un dealer de banlieue qu'il fréquente et dont il est amoureux sans oser se l'avouer. Ce secret intime est à l'origine de son désir de fuite. Il le rejoint sur la côte méditerranéenne dans une cité balnéaire affreuse et hideuse. Ensemble ils arpentent ces lieux sans charme, ces ghettos touristiques, rassemblements de gays. Son ami l'accueille provisoirement chez un homme puis un matin il disparait (avant que l'hébergeur soit arrêté par la police) ; le garçon se retrouve seul pour poursuivre son errance. En parallèle de ce récit contemporain il se remémore un écrivain homosexuel, Jacques Costan, qui a contribué à sa construction identitaire à l'instar d'un aîné de sa famille mort du sida. Les deux histoires s'imposent au milieu de l'intrigue principale. le narrateur a du mal à verbaliser et accepter ses sentiments, il ne se considère jamais comme gay. Il affirme : « j'étais malheureux et l'inclinaison que je sentais grandir en moi me clouait les mains. Qu'importait que toutes les brûlures du désir me fussent si familières, ça n'allait jamais mieux. » Il multiplie les expériences sexuelles plus ou moins sordides, il se fait payer par un homme, s'amourache d'un serveur et se remémore des soirées parisiennes mêlant sexe et drogue. Il est dans le déni de ses attirances : « moi, ai-je dit, je ne crois pas que je suis comme eux, je ne crois pas que je suis attaché par les pieds à leur identité. Pour tout te dire, les hommes, je les désire autant qu'ils me dégoûtent. (...). Je désirais les hommes et je préférais mourir que les embrasser. » Ce roman est littérairement abouti et séduisant : la narration imbrique différentes époques sans fil conducteur évident à suivre, la construction est complexe. Voici un extrait qui montre le style de l'auteur parfois un peu ampoulé : « la verge indolente, imbue d'elle-même, rageuse et ignoble, flottait, dans l'eau chlorée pleine de pisses mêlées et de crachats perdus, pavillon d'or, chair claire et pivoine des peaux éraflées par les épines des roses, incendie de l'enfance retrouvée, l'effroyable vérité de la beauté. » le road-trip s'achève à Sète après les provisoires retrouvailles avec Hocine (le Bleu) ; le ton est désenchanté et lucide, le narrateur constate : « à mon retour, ce serait toujours la même chanson : l'inclinaison qui recommencerait, la drogue pour oublier, et, chaque jour, un peu plus chanceler. »
L'inclinaison est un roman fort et exigeant, la lecture de ce texte puissant à la construction complexe est une véritable révélation. le lecteur tente de reconnaitre de qui le personnage de Costan est inspiré et savoure ce récit contemporain qui est aussi un hommage aux victimes homosexuelles du sida de la fin du vingtième siècle.
Voilà, je vous ai donc parlé de L'inclinaison de Corentin Durand paru aux éditions Gallimard.

Lien : http://culture-tout-azimut.o..
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