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Critique de Pecosa


En 2018, le réalisateur Francis Gendron présentait l'excellent documentaire Bernard Natan, le fantôme de la rue Francoeur. Fantôme, le mot est bien choisi, car non seulement Bernard Natan est mort depuis longtemps, à Auschwitz en 1942, mais il est mort aussi dans les mémoires.
Ce film passionnant retraçait le parcours d'un réfugié roumain fuyant les pogroms, devenu le dirigeant de l'une des plus importantes sociétés de cinéma françaises, Pathé, pour finir lynché en place publique, incarcéré pour escroquerie, déchu de la nationalité française puis déporté.
Sa destinée était tellement incroyable que je me suis précipitée sur cet ouvrage de Philippe Durant, « Le Fantôme du cinéma français », dont la couverture symbolise parfaitement l'affaire. Natan est oublié, il n'a plus de visage.

Petit récapitulatif donc sur le destin de Natan Tannenzapf (1886-1942) originaire de Jassi (Roumanie) qui arrive en France en 1906, où il travaille comme chimiste chez Pathé. Quand la guerre éclate, il s'engage dans la Légion Etrangère et sera cité à l'ordre de la division. Sa naturalisation est effective en 1921, il devient Bernard Natan, fonde son laboratoire, « Rapid Film », achète la société Pathé en 1929, qu'il renomme « Pathé-Natan ». Quand l'effet de la crise de 1929 se fait sentir en France, Natan résiste, réinvestit, modernise les studios, mais se fait de plus en plus attaquer en interne, et dans la presse. Quand Pathé-Natan prend l'eau en 1935, il est accusé de malversations financières.

L'ouvrage de Philippe Durant démonte tous les mécanismes qui ont mené à la chute d'un homme qui contribua à faire du cinéma en France une industrie, prit le parti de la faire résister via une production nationale au puissant cinéma américain, fit construire des studios rue Francoeur à Paris où l'on tourna de grosses productions parmi lesquelles Les Croix de bois, Jeanne d'Arc et Les Misérables, investit dans toutes les innovations comme le cinéma parlant (il produit le premier film parlant français) la couleur, importa les dessins animés de Walt Disney, acheta des salles de cinéma, s'intéressa à la distribution, fit signer des contrats à des « vedettes » (dont Gaby Morlay) saisit le pouvoir de la publicité, de l'évènementiel, des magazines…Bref, il ressuscita une firme moribonde, révolutionna l'industrie cinématographique française, et aurait pu devenir un tycoon comme ses homologues américains Louis B. Meyer ou Selznick.

Mais c'était sans compter sur l'antisémitisme de la France des années 30. Lâché par les banques, lynché par la presse d'extrême-droite ( Daudet, Rebatet), il est jugé coupable de malversations et est incarcéré en 1939. En dehors de ces accusations, il est aussi calomnié. On dit de lui qu'il a produit et joué dans des films pornographiques : « Son museau de fouine puante pointe vers le public; ses yeux agiles de pornographe professionnel scrutent la salle, en quête de jolies filles à éblouir; son premier métier de protagoniste dans des films obscènes remonte à sa face verdâtre de métèque au sang vicié." ( in le Cri du peuple, 1941). Natan deviendra ainsi l'une des « vedettes » de l'exposition "Le juif et la France". Déchu de sa nationalité, livré aux nazis en 1942, il quitte Drancy avec le convoi 27 et meurt à Auschwitz.

Ecrit par un spécialiste des biographies d'acteurs et de réalisateurs (Audiard, Belmondo…), l'ouvrage est factuel, bien documenté, s'appuie sur la presse de l'époque et se lit comme un roman. Même si on ne saisit toujours pas les raisons pour lesquelles ce pionnier est tombé dans les oubliettes, on reste fasciné par l'aspect visionnaire de cet homme que rien ne prédestinait à oeuvrer pour le 7ème Art, et choqué par l'acharnement dont il fut la victime.
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