AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ATOS


Ecrire : sous ce titre sont regroupés cinq textes de Marguerite Duras. L'écriture telle qu'en soi.
- L'EXPOSITION DE LA PEINTURE :
« L'exposition de la peinture » texte qu'elle destine à Roberto Plate, peintre, plasticien, scénographe, argentin, décrit l'artiste dans l'acte de peindre. Non pas seulement dans l'instant de la mise en peinture mais dans la totalité de cet acte.
Temps – espace se rejoignent. Solitude du peintre. Solitude de l'écrit. Duras rejoint Plate, ils sont faits de la même pâte. Artistes mis en lieu clos : l'atelier de Plate, la maison de Duras.
Le propos qu'elle mène, le portrait qu'elle dresse de l'homme dans l'intégralité de son oeuvre, son questionnement sur la succession de ces toiles, de leur enchevêtrement, de leur chevauchement, de leur nature et de l'intérêt de leur distanciation, voilà les questions qui harcèlent l'artiste dans la construction de son oeuvre.
« Ma motivation est de peindre la peinture même » déclare Roberto Plate.
La motivation de Duras n'était elle pas d'écrire l'écriture même ?
Dyptique durassien – époque blanche.

LE NOMBRE PUR
Du mot au nombre.
Du nombre qui représente la vie. Voilà peut être un des textes les plus précis de Duras.
« Pur », ce mot que l'humanité a perdu. Qu'elle n'utilise que pour qualifier ce qu'elle vend.
Ce mot « pur » que Duras ne veut le rattacher à rien, qu'il ne soit qu'à lui même, ce mot du dépassement, de la voix.
Duras n'était pas croyante mais percevait l'appel de chaque ciel.
Ce mot, lors de la seconde guerre mondiale, par le génocide subi par le peuple de Samarie, le sens de ce mot, nous fut ôté.
En violant ce mot, l'humanité s'en voit tout entière dépossédée.
On ne devrait plus dire ce mot tant ce mot ne veut plus rien dire.
Alors le mot ne pouvant plus être prononcé, c'est le nombre qui en lui même va contenir la pureté. L'exactitude de ce qu'il représente.
Impossible de toucher au nombre.
Le nombre est.
Le mot interdit apparaîtra, renaîtra par le nombre.
Ainsi Duras émet le souhait de voir, sur un mur des anciennes usines Renault de Boulogne-Billancourt inscrits tous les noms des travailleurs qui ont dans cette usine porté leur vie.
Un nombre d'hommes écrits.
Un nombre pour représenter.
Non pas l'horreur, non pas l'épouvantable, mais le nombre que représente touts nos vies et leur ensemble scellé dans ce nombre.
Aussi pur que l'Alliance. La nouvelle Arche pour un autre ciel. le nombre, le fils du nom, juste et donc pur.
«  La vérité ce serait le chiffre encore incomparé, incomparable du nombre , le chiffre pur, sans commentaire aucun, le mot. »

ROMA
Roma, mon amour. Voilà ce qui n'est pas écrit, voilà ce que Duras met en scène sur la piazza Navona, dans ce hall d'hôtel.
Unité de l'auteure : unité de lieu, unité de temps.
L'ouverture de Musica, l'absence d'Hiroshima.
Duras nous parle de Rome et de la Reine de Samarie.
Elle nous parle des hommes du Nord, de ceux de la lande. Elle nous parle d'une terre à jamais perdue, enfouie, saccagée, plongée dans l'oubli par les mains et par l'absence de pensée de Rome.
Rome, l'empire, de la toge à l'uniforme noir et vert de gris. Berlin devient Rome . Rome revient en Berlin. Les légions De César sont les colonnes
Le crime contre l'humanité a fait perdre aux hommes l'Ailleurs, le ciel qu'ils se devaient.
On enseigne Rome à l'école, oui. Mais la mémoire perdue, toutes les mémoires perdues, celle de l'enfance, celle des royaume de paix ne peuvent pas être enseignées, elles ne peuvent être que rappelées.
Dire que cela a existé. Avant, avant ils ont existé. Nous avons existé. Avant que cela ne se produise.
Avant que les hommes du Nord viennent tout effacer.
La femme sait Rome. Elle a peur d'être par elle contaminée, d'avoir sur elle, en elle, ce sang qui dans la terre s'est écoulé.
Alors elle reste sur la terrasse, enfermée sur la terrasse .
Elle se détourne de la pensée de Rome. Elle se distrait. Distraction de l'esprit par l'écrit, par l'image qu'il annonce.
Rome ne pense pas. Pour penser il faut en sortir, la fuir. Pour retrouver la mémoire du royaume que l'on croyait perdu à jamais, il faut se rendre dans la plaine, la plaine qui se termine avec le ciel.
Les hommes de Rome ont de leurs mains enfanté de cris.
Les cris ont dressé le pays du silence. Et « C'est dans cet enfer de silence, que le désir est venu ».
Voilà l'écrit, voilà une des raisons de l 'écrit pour l'auteure.
Trouver l'horizon, se mettre en marche vers cet horizon qui rejoint le ciel, retrouver la mémoire pure, celle de l'enfance, avant le crime, retrouver cette terre ce pays, cet Eden.
Cette plaine qui rejoint le ciel : La Lande qui dans la langue babylonienne n'est que le jardin des délices, l'Eden. le paradis perdu, là où l'homme et la femme, vivaient leur amour avant le péché. Là où la possibilité d'aimer se trouvait.
Après le crime est il encore possible d'aimer ?
Non Duras n'était pas croyante, mais en voyant ce qu'elle n'a pas écrit on ne peut pas douter qu'elle marchait vers le ciel.
En suivant le cours des fleuves, Gange, Seine, Mekong, ou celui des neuf dragons, tous les fleuves partent vers la mer.
En les suivant, le regard finit toujours par rejoindre le ciel.
Un texte qui n'est pas si « incroyable » que cela, lorsque l'on sait par quelle main il fut dit.

LA MORT D'UN JEUNE AVIATEUR ANGLAIS:

il avait vingt ans. Il s'appelait W.J Cliffe.
Il est l'enfant. Il est chaque enfant. L'enfant qui est mort. Mort le dernier jour de la guerre.
Il est tous les enfants. Il est dans cette terre l'enfant de tous, lui qui n'était sur la terre l'enfant de personne .
La tombe de l'enfant. C'est à Vauville qu'elle vient le pleurer. Pleurer son enfant, son frère, pleurer tout ce qu'elle a perdu.
«  La mort de n'importe qui c'est la mort entière. N'importe qui c'est tout le monde. »
Elle ne se rendait pas sur la tombe du soldat inconnu, elle pleurait l'éternel enfant perdu.
«  Vingt ans. Je dis son âge. Je dis : il avait vingt ans. Il aura vingt ans pour l'éternité, devant, l'Eternel. Qu'il existe ou non, l'Eternel ce sera cet enfant-là. » 
« Écrire sur tout, tout à la fois, c'est ne pas écrire ».
Alors elle écrit, elle n'écrit que l'histoire de l'enfant, elle écrit ça, ce sujet là, elle n'écrit pas sur tout, elle écrira uniquement ça.
Un nom sur une tombe, un seul nom pour dire l'écroulement du monde.

ECRIRE:
Comment s'est elle mise en écriture, dans cet état. Dans cet état d'écrire. Pourquoi écrire ? Elle ne le sait pas. Comment, voilà son propos. Comment prépare-t-on ce voyage, quel carte emporte-t-on avec soi, que laissons nous en partant, retrouvera- t- on ceux qui dehors , sur le quai nous ont vu nous éloigner sans comprendre vers quoi nous nous rendions.
La maison des Yvelines sera l'embarcation « dans » laquelle elle suivra le cours de son voyage.
L'unité de lieu de Duras : l'écriture.
La maison c'est l'isolement Elle reconnaît l'inexistence de la solitude mais elle est en dehors en s'obligeant à rester dedans. C'est un voyage inversé. L'introspection la mènera en son dehors.
Elle ne maîtrise rien. Elle le sait. « Rien n'est programmé ». le lieu compte til vraiment ? La maison la possède. Elle s'égare, elle se perd, elle est femme perdue, la possédée «  Tout écrivait quand j'écrivais dans la maison. L'écriture était partout. » Elle ne possédait pas son écrit. En écrivant elle se dépossédait. Peur, alcool, désespoir, combat, au fond du puits, au bord de ce que les tremblants nommerait folie, elle s'est contrainte, imposée sa solitude. Elle l'a entièrement construite seule, comme un rempart, comme une tour de gué. C'est la seule attitude qui convenait à l'état qui la maintenait en vie.
« Il y a ça aussi dans la fonction d'écrire et avant tout peut être se dire qu'il ne faut pas se tuer tous les jours du moment que tous les jours on peut se tuer ».
Écrire était un choix. On peut ne pas écrire .On peut aussi choisir de vivre. Elle a choisit, elle a écrit, elle est restée en vie.
Et elle a vu. Elle a compris, aperçu, non pas la fin de son voyage mais ce qui devant elle se dessinait. « Autour de nous tout écrit, c'est ça qu'il faut arriver à percevoir, tout écrit . ...Un jour, peut être, au cours des siècles à venir, on lirait cette écriture, elle serait déchiffrée elle aussi, et traduite. Et l'immensité d'un poème illisible se déploierait dans le ciel ».
Seule, elle recherchait l'universalité. C'est en employant un autre langage, une autre image, qu'elle a tenté de trouver le passage pour nous le révéler.
Dans le secret silence de ses mots se pourrait il qu'elle nous ait laissé la clé ?

Astrid SHRIQUI GARAIN
Commenter  J’apprécie          143



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}