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Critique de HubertGiorgi


Je suis un profane du genre bande-dessinée, nécessairement du genre B-D. d'anticipation politique, aussi me semble-t-il malaisé de critiquer ce type de création. En effet, il s'agit non seulement de juger le contenu et la manière dont il est amené, son aspect graphique, bien sûr, mais aussi et surtout, de se départir de nos sensibilités quant au FN; aux auteurs du livre, tout en gardant dans un coin de la tête que ceux-ci ne sont pas exempts de biais, d'autant que l'auteur principal du livre, le journaliste socialo-communiste spécialiste des États-Unis François Durpaire, n'est pas réputé pour son impassibilité idéologique. Il s'agit aussi de garder en tête que le sujet traité, malgré l'aspect ludique sous lequel il est traité, est grave. Trop grave pour être abordé à la va-comme-je-te-pousse, or ce livre, a priori rigolo et sympathique, a toutes les caractéristiques d'une arme politique par destination. Alors que les auteurs faisaient la tournée des plateaux de télévision et de radio pour la promotion du livre, dès qu'il le pouvait, Durpaire ânonnait que « La Présidente » se voulait tout à fait « neutre et objectif » dans son idée d'anticiper une application stricte du programme politique et économique du Front National en cas de victoire en 2017. Ce rôle n'est que très partiellement rempli quand il n'est pas carrément lacunaire, nian-nian ou exagéré, si ce n'est les trois à la fois.




D'abord, les points positifs

Le dessin est joli, en noir et blanc et très contrasté, je me suis plusieurs fois demandé comment Farid Boudjellal l'avait produit. J'ai cependant l'impression que ce dernier a utilisé, en plus du dessin au crayon qui représente peut-être 80% du livre, plusieurs autres outils et notamment l'outil informatique, car certaines planches semblent avoir été simplement « postérisées » sur photoshop ou quelque autre logiciel de traitement d'image à partir de véritables photos (exemple à la page 56, lors du premier Conseil des ministres).


Il y a de l'humour si l'on est tant soit peu bon public. Je me suis surpris à rire plusieurs fois, notamment sur le personnage de Philippot; les commentaires de Marine le Pen sur les portraits présidentiels; les commentaires politiques p22-23, assez fidèles à ce qu'ils pourraient effectivement dire en cas de victoire FN, enfin, l'arrestation des rappeurs et l'apparition surprise style « coucou c'est nous ! » de Soral, Dieudonné et Roucas à la Garden party de l'Élysée, invités par le Pen père qui « a dû batailler ferme » pour les y faire inviter. Notons également la présence de Jean-Luc Godard et de Brigitte Bardot, Bardot.


Les interventions, le ton et les réactions de Marine le Pen me semblent justes comparés à ceux de la véritable, excepté pour l'épilogue. Je vois très mal Marine le Pen soucieuse et dire « Je ne sais pas », mais pourquoi pas. Il faut avouer que c'est une fin choc, toutefois totalement irréaliste, voire surréaliste (enlèvement de Philippot; tentative de putsch par le Bloc Identitaire).

Une bonne idée que celle de faire des chronologies thématiques ! En l'occurrence ici mises en scène par le truchement des chaines d'information (chronologie de faits, au demeurant très douteux, du Front National; de la mise en place de l'état d'urgence etc.). Mais une fois encore, tout ceci pêche par ses carences en objectivité et en rigueur. La sphère FN a le dos large, aucun examen de conscience n'est établi pour toutes les autres personnalités politiques assez présentes dans le livre, si bien que cela donne l'impression qu'une impunité est accordée aux autres politicards qui ne gravitent pas autour de la galaxie FN, et que cela seul suffisait à les rendre formidablement vertueux et dignes. Au final, soit l'on ressort de ce livre en se disant que le FN est un parti comme les autres, soit en ayant envie de le défendre ou le combattre davantage. Au cours de leur passage sur le plateau d'On n'est pas couché François Durpaire et Farid Boudjellal ont bien précisé que leur cible se situait chez les abstentionnistes et les hésitants. Il me semble que c'est raté.

Enfin, en tant que sympathisant FN, toute la partie électorale jusqu'à la passation de pouvoir, « l'intronisation », mot étrange pour une République, m'a donné beaucoup de joie et de frissons : comme si j'y étais.

Oui, tout cela serait rigolo et sympathique si le livre ne nous était pas vendu comme un tract d'information à l'orée de l'éducation politique « neutre », je cite l'avant-propos : « Mon projet avec ce livre est de montrer, de la manière la plus précise possible, l'enchaînement qui suivrait l'arrivée du FN au pouvoir. ». Je cite les remerciements : « Emmanuel Lechypre, Ulysse Gosset, Thomas Legrand et Patrick Cohen », si j'avais été un peu plus jeune et moins précieux, j'aurais crié au « LOL ». Je n'ai pas non plus listé tous les mots éculés et poncifs jouant sur les cordes de la sensibilité tels que « repli; peur; fascisme » lancés arbitrairement comme des mantras, bonjour l'objectivité ! Si Durpaire avait fait l'effort de réflexion consistant définir ce qu'est le fascisme et à déterminer des corrélations avec le Front National, assez pour qu'on puisse légitimement le taxer de parti fasciste, s'il avait fait cela, il n'aurait rien publié pour cause d'indigence.

J'ajoute que l'auteur parle « d'uchronie », or il n'en est rien. Une uchronie est une reconstruction historique fictive à partir d'un fait historique qui aurait eu des conséquences différentes si les circonstances avaient été différentes. Il ne s'agit pas (encore) d'un fait historique, et il y a même peu de chance qu'un seul vingtième du livre en devienne un, un jour. À la limite, mais cela dépend également de là où l'on se situe, peut-être pourrions-nous parler de dystopie.

Points négatifs

L'histoire d'une famille « moderne » en toile de fond : Fati, Antoinette, Tariq et Stéphane.

Mon Dieu, comment dire … Peut-on sérieusement faire plus stéréotypé ?! Ou quand cette volonté de multitude développe une forme d'uniformisation.

Tariq, je crois que c'est le cousin de Stéphane, typé maghrébin, je ne sais pas si c'est le cas mais il appelle Antoinette « mamie » et est toujours claquemuré chez elle. Personnage sans beaucoup de personnalité, tout au moins débonnaire avec une pointe de cynisme, il est cependant toujours stimulé par les idées de Stéphane et l'épaule dans son combat.

Stéphane, au chômage et activiste de gauche monte un blog pour « entrer en résistance » (le blog s'appelle par ailleurs « Résistance », cliché) contre la « menace fasciste ». Il se fera arrêter par la police pour ses activités politiques et se mettra à tout écrire en manuscrit au stylo pour être prudent, pensant qu'il est écouté et regardé (cliché, notons par là même que c'est le gouvernement socialiste actuel qui a voté les lois liberticides auxquelles le FN n'a pas souscrit).

Fati, d'abord, petite immigrée et étudiante en droit, vit en collocation avec la vieille Antoinette (cliché), sa carte de séjour arrive à expiration. Elle finira par se faire expulser par le FN alors qu'elle vivait le parfait amour avec Stéphane (cliché), petit fils d'Antoinette;

Antoinette, jeune résistante pendant la Seconde Guerre mondiale, progressiste et revancharde de 94 ans au bocal survolté, confinant parfois à la sénilité. Elle prodigue des conseils aux pseudo-résistants du web (Tariq et Stéphane, et cliché), elle mourra d'une syncope après avoir ressorti le fusil mitrailleur qu'elle portait dans le maquis, voyant poindre la « menace fasciste » en la personne de Marine le Pen (cliché).

Bref, ce méli-mélo décousu de générations, d'ethnies, de nationalités, de « jeunisme » mal dégrossi et d'idéologies mal comprises … Tout cela est tellement peu représentatif de la société réelle que cette bande-dessinée n'est qu'un recueils de petites miniatures d'Épinal, des instantanées de propagande. Et j'ose à peine aborder les dialogues, absolument ri-di-cules, sommaires et d'une platitude à vous faire entrer dans la deuxième dimension. C'est par ailleurs cette partie qui sape totalement tout le reste du travail, les objectifs que les auteurs s'étaient fixés tombent sous les coups de ce pourquoi les quidams votent FN : le pathos exacerbé jusqu'à la moelle.

Beaucoup de points sont absurdes :

- L'on reproche à Marine le Pen de mettre en branle l'état d'urgence, or, je ne vous fais pas un dessin …
- Même chose pour la restriction des libertés, ce n'est pas le FN qui l'a votée. de même qu'il est très facile de faire croire que le FN pourrait en abuser plus qu'un autre. Nul ne le sait.
- Gérard Longuet Premier ministre, sérieusement ?!
- Putsch du Bloc Identitaire. C'est dans le programme du FN ça ? En tout cas les auteurs ont beaucoup d'imagination parce que ça, franchement, c'est totalement absurde. D'ailleurs nous voyons là qu'il ne s'agit pas que d'un simple livre qui se contenterait seulement de « retranscrire point par point le programme du FN » sur une réalité fictive, en effet les auteurs prennent beaucoup trop de libertés compte tenu de la thématique du livre et de l'axe revendiqué par ces derniers.
- L'enlèvement de Philippot.
- Les arrestations arbitraires.
- « Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas. » est un argument d'autorité racoleur suscitant la peur, ironie du sort, et qui, en plus de ne rien apporter sur le fond n'a rien à faire là, encore moins en couverture ! Cela démontre la velléité première du livre : un livre militant qui incite à une pseudo « vigilance » contre quiconque oserait venir gâcher leur Garden party à eux.
- Enfin, la partie économique est plus ou moins juste, uniquement si l'on part des postulats de l'auteur, notamment celui qui consiste à partir sur l'idée que la France est nécessairement condamnée à subir les désidératas de plus grandes puissances qu'elle et que sans union monétaire, elle n'est plus rien, notamment face à la mondialisation. L'auteur ne prend pas en compte les centaines de leviers (politiques et institutionnels, économiques, culturel, sociaux etc.) que les partis pourraient manier afin d'éviter quelque catastrophe.
De même que du fameux argument de la « fuite des investisseurs » commence à me courir. Les marchés boursiers et investissements sont bien trop dynamiques pour créer une telle catastrophe économique en France, les marchés sont trop humains, certains investisseurs sont prudents et se retireront quand d'autres investiront, pensant jouer un coup etc. C'est oublier les dépendances économique des uns et des autres en matière d'agriculture (PAC, qui fonctionnait très bien avant la création d'une Union européenne politique), de savoir-faire etc. C'est aussi oublier l'attractivité économique de la France sur le terrain du luxe, de la recherche, du tourisme, de l'armement etc. Nous ne sommes pas un petit pays sans histoire et notre culture ainsi que notre savoir-faire sont répandus à travers le monde.

Faisons-nous confiance, bon sang !
Et arrêtons de nous vautrer dans une morale d'esclave !

En conclusion, la morale du livre pourrait se résumer en cette phrase qu'Antoinette dit à Fati alors qu'elles sortent toutes deux du bureau de vote (p.6) : « Moi qui adore le progrès malgré mes 94 printemps bien tassés, je viens de voter pour que surtout rien ne bouge ! ». Surtout, ne changez rien ! le plus gros problème de ce livre réside essentiellement dans son postulat de départ : que le FN au pouvoir se muerait en un parti fasciste à cause du Bloc Identitaire, et je n'évoque même pas celui tendant à imaginer une Marine le Pen au pouvoir en 2017, auquel je ne crois pas. Donc forcément, tout ce qui en découle ne peut être que grossier et peu adéquat à quelque future réalité d'autant que ce livre, je le répète, ne suit pas complètement le programme du FN sinon l'incruste dans une situation sociale, économique et géopolitique imaginaire puisqu'elle se passe en 2017. On ne peut pas prévoir l'état dans lequel sera la société en mai 2017.

Un travail d'anticipation à court-terme, exercice beaucoup plus difficile qu'il n'y parait tant il ne s'agit pas d'imaginer grands mouvements de masses sur des décennies, exercice en l'occurrence totalement loupé.

Un décorticage du programme du FN très sporadique dont les extraits semblent n'avoir été sélectionnés que pour servir l'idéologie des auteurs du livre, que Durpaire, socialo-communiste avéré, a imaginé, écrit et supervisé. Rappelons qu'il n'est que journaliste spécialiste des États-Unis et, même s'il en a en tant que citoyen, il n'a de fait aucune légitimité en tant que journaliste pour commenter ce sujet. Or, il utilise son statut pour faire autorité, et même si, me dira-t-on, « c'est de bonne guerre », il n'en reste pas moins qu'il s'agit là ni plus ni moins d'un abus de pouvoir.

Cette histoire de Bloc Identitaire me semble saugrenue, même si elle permet d'alléger le cliché « FN = fascisme », en tant qu'il y aurait somme toute plus fasciste qu'eux. Ce livre prend clairement parti et pose ses propres postulats comme des vérités. Durpaire a pris beaucoup trop de liberté sur le scénario pour que son livre puisse faire office de manuel.

Donc à ceux qui cherchent quelque chose de sérieux sur le sujet, passez votre chemin, et à ceux qui par curiosité, comme moi, pensaient pouvoir se divertir sans s'arracher la tignasse, l'auteur ayant revendiqué un « véritable » effort d'objectivité qui m'a séduit a priori et qui n'était finalement qu'un argument de vente sinon d'autorité, eh bien ! je suis dans le regret de vous dire que pour ce prix là vous auriez pu aller chez le coiffeur. Pour ma part, c'est un ami me l'a prêté.
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