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Citations sur La nuit de Gigi (8)

Le jour où Honoré prit la photo qui fit pleurer Léo sous le chapiteau, une lumière dorée enveloppait la peau de Gabrielle d’une douceur qu’elle ne ressentait pas.
- Tourne-toi sur la gauche, vers la porte-fenêtre.
Elle avait regardé le ciel par-dessus le toit.
- Ne bouge plus.
Honoré dessine Gabrielle telle qu’il la voit. Bras droit replié derrière sa tête légèrement penchée, ce qui étire sa nuque. épaules dégagées. Seins qui prennent forme depuis qu’elle a eu ses règles le lendemain d’avoir fait l’amour. Pubis jaune citron. Intérieur de la cuisse tatoué d’ailes d’oiseau.
Le corps qu’il voit elle le voit aussi quand elle se regarde dans le miroir. Mais ce n’est pas le seul. D’autres corps existent sous ce corps visible. Des corps aléatoires, fugitifs, qui surgissent et disparaissent en un instant, qu’elle attrape parfois entre deux rapides battements de cils. L’un est si transparent, si léger, trace impalpable d’une absence, qu’elle voit ce qu’il y a au-delà. À l’opposé, un autre est si épais, si dense qu’il absorbe ce qui l’entoure et rend le monde opaque. Ils ne coexistent pas, ils surviennent, se succèdent. Elle voit aussi le corps solitaire qui s’est longtemps frotté au plaisir et à la douleur sans qu’elle parvienne à les séparer. Et enfoui au plus profond, propulsé à travers les années, le corps d’enfant qui ne savait pas que la mort existe. Aucun d’eux n’est le sien exclusivement, tous le sont.
(p. 226-227)
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- Tu es amoureux d’elle ?
- Bien sûr que je suis amoureux de Gabrielle, dit Léo. Comme je suis amoureux de Yolande et même d’Honoré. Comme je suis amoureux du gars qui envoie un mandat à sa famille par la Western Union, du gosse à la mèche décolorée qui fait le guet à l’entrée du centre commercial et des arbres au pied des tours. Que ce soit des saules ou des peupliers je m’en fiche, en amour je respecte l’anonymat. Ça veut dire quoi, à ton avis, être amoureux ?
(p. 168).
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Il croit voir une ombre près de lui.
Par pitié, rendez-moi la voix de ma mère quand je rentrais crotté. Des larmes coulent de ses yeux. Qu’elle me protège à nouveau des nuits de l’hiver. Il perd à nouveau conscience.
Il marche dans des prés mouillés en tenant la main de Loreline. Leurs baisers virevoltent dans le feuillage des peupliers. Un vent joufflu chasse les nuages vers la mer. Il court en sabots avec Jean Mouton et Louis Compère derrière les géants dans les rues de Saint-Quentin. C’est au carnaval du Bouffon que la bière les a saoulés la première fois. Ils sont si jeunes, ils ont tant d’énergie. Ils ne sont pas encore partis à la guerre. Ils sont encore debout, vaillants. Jean et Louis sont encore vivants. Loreline est encore vivante. Les champs sont encore bordés de haies, les vaches paissent encore dans les prés, il y a encore des papillons, des abeilles, des coquelicots et des bleuets, les teinturiers transforment encore les fleurs de guède en bleu-violet pour les drapiers qui tailleront les robes de la Vierge.
(p. 123).
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Un jour, l’enfance se déroba sous les pas de Gabrielle. Cela eut lieu là où vous vous y seriez attendu  le moins : non pas à l’école où les rivalités d’âges et de sexes sont aussi violentes et éphémères que les solidarités­ mais dans un escalier désert… désert. Quand elle atteignit le rez-de-chaussée la fillette avait perdu sa confiance dans les adultes et dans le monde qu’ils avaient construit autour d’elle. Ce jour-là, aucun de ceux qu’elle aimait ne lui fut d’aucun secours.
(p. 100)
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Les après-midi où Gabrielle ne va pas à l’école, s’il fait beau le vieil Henri l’emmène au jardin de Suzanne. De l’autobus elle regarde le pigeon qui bat des ailes dans le caniveau, la princesse et le corsaire qui courent main dans la main, le bébé en poussette qui découvre le monde en suçant sa tétine, le chien en laisse qui piste d’autres chiens en laisse, le vendeur de crêpes dans sa guérite. Elle suit des yeux la fillette qui dort sur les genoux de sa mère assise sur le trottoir. Le vieil Henri lui a expliqué que la maman n’a pas de travail et qu’elle demande de l’argent afin d’acheter du lait et des gâteaux pour son enfant.
Ils choisissent un bouquet d’anémones à la boutique de fleurs et couronnes funéraires, entrent dans le jardin. Des tourterelles roucoulent, un chat tigré se prélasse au soleil en ronronnant. Gabrielle ne doit pas crier, pas courir, pas chanter à tue-tête. Sa petite main dans la grande main du vieil Henri, elle suit une allée bordée de saules. Les bruits de la ville ont été coupés net par la harpe que pince un angelot en pierre, par l’avion où une aviatrice en marbre noir porte casque et lunettes.
(p. 69-70).
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Il était une fois dans une cuisine parisienne, il y a une vingtaine d’années, une enfant dont les doigts poussaient hors de son assiette les éclats de la coquille éparpillés autour du coquetier.
- Tu devrais manger ton œuf tout de suite, disait la mère. Si tu attends trop il va durcir, ce ne sera plus un œuf à la coque. Veux-tu que je l’ouvre ?
- Non, c’est moi.
La fillette découpe le sommet de l’œuf avec sa cuillère. Le jaune apparaît : une perle dans un glacier blanc. Elle touche du doigt la lisse pellicule qui le recouvre. Dessous vibre la perle. Elle la tapote. Ouvre-toi, ouvre-toi. La perle frémit, ça sifflote là-dessous, l’enfant l’entend. Sors de là, chuchote-t-elle. D’infimes secousses agitent la surface soyeusement bombée. Sors de là sinon je te mangerai. Ce qu’elle attend va-t-il se produire ? Oui, regardez ! La perle se fend et un éclair noir jaillit dans une éclaboussure de soleil : un loriot ébouriffe ses ailes et les déploie au-dessus du coquetier. L’enfant ne quitte pas des yeux les longs traits ondulés qui virevoltent sous le plafond. Le loriot siffle à tout-va. Autour de lui tout n’est plus qu’étincelles de lumière. Le ventre jaune vif illumine la table d’une nuée de papillons d’or qui dansent au-dessus de l’assiette.
- Tu as fini ton œuf ?
Gigi fait revenir des pommes de terre à la poêle.
Si elle se retournait elle ne verrait ni le loriot ni les yeux de l’enfant écarquillés sur l’invisible.
Encore quelques rapides battements d’ailes entre les murs de la cuisine bruissante de ses plumes et l’oiseau s’envole par la fenêtre ouverte du premier étage. Gabrielle entend son cri tourbillonner dans la cour avant de disparaître dans le noir de la nuit.
(Pages 65-66).
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De la fenêtre de sa chambre d'hôpital il comptait le nombre d'étages, de fenêtres du pavillon en vis-à-vis, le service des grands brûlés, puis il fermait l’œil droit et le rouvrait aussitôt. Il recommençait à compter. Il n'aurait pas été surpris que certains étages, certaines fenêtres aient entre-temps disparu. Il avait perdu confiance dans la persistance du monde.
(p. 51)
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Le passage est étroit, les silhouettes progressent en file indienne. Courte. Une file de deux. Deux minuscules créatures de l'air, ou deux géants terrestres minuscules - le regard hésite - bravant la pénombre d'aquarium qui menace de les engloutir. Désignons-les comme Léo et Lola.
A une dizaine de mètres, une ligne fluorescente tracée au sol indique la limite du sas. Léo pose une main sur l'épaule de Lola qui avance devant lui et la serre. Lola se retourne.
- Ne t'inquiète pas, dit-elle, je saurai nous mener à bon port.
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