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Critique de Erik35


ILS PARTIRENT 500...

C'est l'histoire d'une terre.
C'est l'histoire d'une femme.
C'est celle de son époux, malgré lui.
C'est aussi l'histoire d'un drame universel : la découverte puis - surtout- la colonisation destructrice de l'Amérique.

Nous sommes au XVIème siècle. En France, les huguenots essaient de survivre contre la ligue et selon le bon vouloir du Roi. La Saint Barthélémy n'est plus très loin de l'histoire dramatique des hommes. Quelques intrépides, sous le commandement du célèbre Amiral de Coligny, vont se lancer dans l'aventure : servir de tête de pont à leur royaume mais surtout, sans rien en dire vraiment, à leurs coreligionnaires, pour fonder une nouvelle Jérusalem de l'autre côté de l'Atlantique.

Bien sûr, l'appât de l'or n'est pas pour rien dans cette décision. Il y a aussi qu'espagnols et portugais sont déjà durablement installés plus au sud. Mais ces terres nouvelles fascinent. Ainsi en est-il de cette jeune femme, Eléonore, qui va bientôt épouser Jacques le Moyne de Morgues, un cartographe plein de promesse, pour peu qu'il accepte de partir à l'aventure, se faire les yeux et les oreilles de cette jeune femme intrépide malheureusement née en des temps où une femme n'a guère de liberté.

Jacques va vivre de l'intérieur cette malheureuse et lamentable tentative de colonisation : mal commandés par un chef tyrannique, Jean Ribault, mais surtout peu préparé à ce qu'ils allaient rencontrer, apprécié de René de Goulaine de Laudonnière, l'aventure d'abord pleine de promesses va très rapidement s'enliser puis tourner à la catastrophe. Tellement certains de leur supériorité sur les autochtones "indiens", les français vont être en réalité totalement manipulés par les caciques locaux. Pire : à force de vouloir jouer au plus malins, ces amérindiens non seulement pas idiots mais surtout comprenant que cette poignée d'étrangers essaie de les doubler, vont les laisser totalement tomber.

La faim, l'ennui, les révoltes et surtout l'arrivée d'espagnols sans foi ni loi - malgré la paix signée entre Royaumes de France et d'Espagne - vont avoir, tragiquement, raison de cette poignée de colons.

Jacques le Moyne de Morgues va être des très rares survivants de cette tentative atroce. Sur les sages conseils de Coligny, il va s'exiler en Angleterre : grand bien lui en fera, il échappera ainsi à la folie de Charles IX et les visées politiques de sa mère Catherine de Médicis. Mais il se refusera à tout souvenir, à tout témoignage direct autre qu'une carte approximative abandonnée à un lettré proche du Roi, tandis que l'intégralité de ses croquis auront été détruit avant sa fuite des Amériques. Sa femme semble avoir tout fait pour réintégrer son mari dans le fil de l'histoire afin de lui rendre l'hommage qu'il méritait.

Jean Dytar fait de cette mésaventure tragique une sorte de parabole terrible de la colonisation du continent américain. Sa plume tout autant que son trait (d'une immense finesse) n'ont de cesse de nous rappeler que nous n'avions rien à faire là-bas ! Que nos élites de l'époque ne se sont guère souciées des peuples déjà présents - lesquels étaient aussi roués, velléitaires , guerriers, orgueilleux que nous, n'était la différence technologique qui finit par être à notre avantage -, de ses croyances, de ses habitudes, de ses envies.

Il est terrible de comprendre, en filigrane, que cet échec atroce, exclusivement dû à l'impréparation des colons et aux velléités guerrières des espagnols - d'autres colons, donc - n'est que le prémisse aux atrocités à venir sur cette partie nord du continent nouveau (en ce qui concerne le sud, c'est hélas déjà fait, pour l'essentiel).

Mais Jean Dytar ne s'arrête pas là dans sa compréhension d'un monde achevé et bientôt moribond : il montre ce que cette époque pressent de nouveauté par rapport à ce que l'on a longtemps appelé "le beau sexe". Certes , il faudra encore longtemps pour que les femmes puissent avoir le commencement du début d'une liberté vraie sans forcément en passer par un homme (père, frère, époux, fils), mais cette Eléonore est un modèle d'un genre nouveau qui semble en appeler à une autre manière de considérer les femmes au sein de la famille. Ce n'est bien entendu qu'une illusion, mais elle n'est pas neutre.

Quant aux amérindiens...

Il faut lire l'ouvrage, ainsi que les magnifiques reproductions, totalement apocryphes mais historiquement vraies, de la fin de l'album pour comprendre à quel point le hiatus entre la civilisation européenne de l'époque et la civilisation amérindienne était impossible à combler.

Il faut aussi noter la délicatesse du dessin de Jean Dytar, (les aquarelles succèdent aux dessins à l'encre colorisés par l'auteur), leur puissance d'évocation, leur capacité à rendre une époque aussi révolue que méconnue, la naïveté fausse des portraits qui donne vie à des êtres - connus ou non - de manière absolument convaincante.

Beaucoup de questions subsistent, et qui se profilent tout au long du livre. de ces questions que l'on doit se poser, malgré le passage des générations. le sentiment d'un immense gâchis aussi, fruit de l'orgueil incroyable de nos pères, de la méconnaissance des hommes, de la volonté toujours plus grande de puissance.
Un jour, peut-être, serons-nous les amérindiens d'une autre colonisation........
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