Vous n'arriverez pas à le convaincre.
Ici, on l'appelle Humilis.
Ou le fada.
Mon joli, il n’y a pas que les nourritures spirituelles dans la vie. Ne veux-tu pas effeuiller autre chose que les pages d’un livre ? Je parie que tu as un certain doigté.
Eh bien… jusque -là, c’était comme si je laissais venir à moi les visions. Je les attrapais… Puis je tentais de les dompter avec les mots. Mais désormais, ce sont les mots qui semblent précéder les visions. Justement, je voudrais ne plus avoir peur de leur lâcher la bride. Qu’ils soient plus libres, plus fougueux ! Sans aller n’importe où… Seulement, il faut que j’accepte de perdre un peu le contrôle.
À Mme Nina de Villard ! Le souper se colore à la flamme qui danse, d’un punch que vous avez reconnu pour le sien… Je trouve humble, et muet comme un musicien, à ses mots, un parfum rêveur de Décadence.
- Moi, c'est tout le contraire, voyez-vous. Je ne suis jamais seul. Mais à force de liens, je me sens entravé de tout mouvement. Prisonnier de tant d'obligations !
- De ça je me suis libéré, c'est vrai. Enfin, je crois que la liberté, c'est comme l'horizon. Ce n'est qu'un mot. Sans réalité tangible.
Enfin, j’espère que cette préface me libèrera d’une sorte de malédiction, que je pourrai passer à autre chose, dix ans après… Ces poèmes… ils ont pour moi le goût amer de la prison et de la jalousie. Je végétais dans une cellule quand Arthur les a écrits à Londres, en compagnie de Germain Nouveau. Depuis, ils n’ont cessé de me hanter. J’ai eu le manuscrit en main une première fois à Stuttgart, avec charge de l’envoyer à Nouveau… J’ai aussitôt regretté mon zèle. Deux ans plus tard, j’ai fini par le récupérer. Mais je l’ai prêté à mon beau-frère Sivry, que je croyais mon ami. Las, il ne me l’a jamais rendu. […] La malédiction dont je parlais, plus forte que l’absinthe. […] Si les feuillets vous sont parvenus, c’est parce que Mathilde a finalement autorisé son frère à s’en défaire. Et pour cause ! Mathilde s’est remariée. Nuire à Arthur ne lui importe plus. Ni à moi, hélas… Elle a définitivement tourné la page. Ces poèmes ressurgis des limbes… Ils viennent me narguer. Ils viennent me dire que j’ai tout perdu. Mon fils, ma femme, ma réputation. C’est le fantôme de Rimbaud qui ne me lâche pas. Et moi, qui n’ait pas un sursaut de dignité, je n’arrive pas à m’en décoller. J’ai écrit cette préface en espérant me soulager de quelque poids. Ou au contraire en m’y agrippant désespérément. Vous devez me trouver pathétique.
Quel labeur, la plupart du temps pour aligner quelques pauvres vers pétris de normes qui ressemblent à… qui ne ressemblent pas à la vie !
Mon cher ami, je ne t’ai pas écrit contrairement à ma promesse parce que j’attendais lettre de toi, enfin satisfaisante. Rien reçu, rien répondu. Aujourd’hui, je romps ce long silence. Sept mois passés chez des protestants m’ont confirmé dans mon catholicisme, dans mon courage résigné. Résigné par l’excellente raison que je me sens, que je me vois puni justement et que plus sévère est la leçon plus grande est la grâce et l’obligation d’y répondre. Donc, le même toujours. La même affection (modifiée) pour toi. Je te voudrais tant éclairé, réfléchissant. Ce m’est un si grand chagrin de te voir en des voies idiotes, toi, si intelligent. J’en appelle à ton dégoût lui-même de tout, et de tous, à ta perpétuelle colère contre chaque chose, juste au fond cette colère, bien qu’inconsciente du pourquoi. Tu m’as écrit en avril, des lettres trop significatives de vils, de méchants desseins, pour que je me risque à te donner mon adresse. Tu n’auras mon adresse que quand je serai sûr de toi. Allons, un bon mouvement, un peu de cœur, que diable ! un peu de considération et d’affection pour un qui restera toujours, et tu le sais, ton cordial… P.V.
Alors c’est à cause de vous qu’un des plus grands poètes de sa génération vient de passer deux ans en prison ?
Fermer les grilles d’un jardin, n’est-ce pas le métier le plus triste du monde ?